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"Je n'arrivais pas à bouger" : le témoignage d'une militaire agressée sexuellement à Brest lance le #MeToo des armées

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Manon Dubois a été agressée sexuellement par un autre militaire à de multiples reprises pendant ses missions en mer à Brest. La jeune femme a déposé plainte en 2021, son agresseur a été sanctionné par 10 jours d'arrêt et à travers une mesure de composition pénale. La jeune femme a quitté l'armée.

Image d'illustration. Image d'illustration.
Image d'illustration. © Radio France - Lionel Le Saux

À 18 ans, Manon Dubois entre pleine d'espoir dans la marine. En 2018, elle est affectée pour trois ans en mer sur une première unité, un chaland releveur d'ancrage, le Telenn-Mor, qui fait des travaux sur d'autres bateaux dans le port de Brest. Sur ce navire, Manon Dubois, "seule femme à bord, [qui a] le plus petit grade possible", nous raconte-t-elle, subit "des premiers faits" de la part d'un autre militaire, électricien, indique la préfecture maritime de l'Atlantique, via son officier de communication, Alban Simon. Ces faits, ce sont "des agressions, hebdomadaires, qui [se déroulent toujours] selon le même mode : le militaire la caressait par-dessus les vêtements et essayait de l’embrasser. Elle lui disait non, il la laissait partir", précise Philippe Astruc, le procureur de Rennes.

La jeune femme, 23 ans aujourd'hui, raconte qu'avec "lui, ça a rapidement évolué en des choses pas très nettes, il me faisait des cadeaux de type objet pornographique, me montrait des vidéos pornographiques. Puis ensuite, il fermait la porte de ma cuisine [sur le navire], j'étais seule, et il me touchait. Ça allait de la simple main aux fesses, à tenter de m'embrasser de force et frotter son sexe contre le mien", deux fois par semaine et pendant plus d'un an, soutient-elle.

Au départ, la jeune femme "préfère enterrer cette histoire". Elle informe plus tard, avec peu de précisions, un autre marin, qui l'incite à prévenir la hiérarchie. L'agresseur est "rappelé à l'ordre", détaille le porte-parole de la préfecture maritime de l'Atlantique : "L'un et l'autre vont vers de nouvelles affectations."

Mais "le hasard fait" que deux ans plus tard, Manon Dubois "prend emploi sur la même unité que le marin coupable", retrace le commandant d'arrondissement maritime de l'Atlantique, Alban Simon. La jeune femme n'en croit pas ses yeux : "Je me dis non, c'est pas possible, c'est forcément un homonyme."

Dix jours d'arrêt, un stage et 600 euros d'amende

Tous les deux partent donc en mission sur la même frégate, le Normandie, depuis Brest, en septembre 2021. Après le départ, le militaire agresse à nouveau la jeune femme : "Il lui touche les fesses et les seins", précise le porte-parole. La jeune femme informe ses supérieurs, "qui déclenchent une enquête de commandement. Ensuite, les gendarmes maritimes préviennent la justice." Au retour de sa mission, Manon Dubois descend du bateau dépose plainte le 22 octobre 2021, sur la base de Brest.

Ce comportement vaut à son agresseur dix jours d'arrêt prononcés par sa hiérarchie. Au cours d'une procédure de composition pénale, souhaitée par l'autorité militaire et acceptée par le parquet de Rennes, l'agresseur est sanctionné d'un stage de lutte contre le sexisme et les violences faites aux femmes et d'une amende de 600 euros à payer à la victime. Cette procédure, qui évite un procès pénal à l'accusé, a été validée par le juge du tribunal de Rennes. Cette sanction, via une mesure de composition pénale, "sera inscrite au casier judiciaire du mis en cause", précise le parquet, mais uniquement sur le bulletin numéro 1 du casier, et non sur le bulletin numéro 2. Les membres de l'armée ne doivent faire l'objet d'aucune condamnation inscrite dans le bulletin numéro 2 de leur casier judiciaire pour exercer leur fonction.

Le mis en cause a reconnu les faits, une soixantaine au total, confirmé que la victime "n’était probablement pas consentante et à tout le moins qu’il le faisait sans forcément lui demander l’autorisation, écrit le parquet de Rennes, il confirmait qu’elle lui avait dit non à plusieurs reprises sur le fait de sortir avec lui."

"Je reçois trois témoignages par jour sur ce sujet"

À l'été 2022, Manon Dubois, Quartier Maître, fait le choix de quitter l'institution, même si "la Marine nationale voulait la conserver dans ses rangs, assure la préfecture maritime de l'Atlantique, mais elle ne l'a pas souhaité". Manon Dubois est partie après plusieurs arrêts-maladie, "l’expertise judiciaire constatait chez la victime un état de stress post-traumatique sans que l’expert ne puisse évaluer l’incapacité totale de travail (ITT)", indique le parquet de Rennes. "Je suis partie en leur disant je m'en vais ! Je ne leur ai pas dit : je ne peux plus évoluer dans un milieu qui protège les coupables et qui écarte les victimes... mais je le pensais très fortement", raconte Manon Dubois.

Sur ce point, le porte-parole de la préfecture maritime de l'Atlantique dit soutenir la victime et assure que "l'institution est attentive. Elle ne protège pas les bourreaux. Notre travail de prévention est énorme, nos procédures sont respectées, il y a dix ans le ministère des Armées a mis en place la cellule Thémis, par laquelle n'importe quel ressortissant peut prévenir de faits de harcèlement."

Après la révélation de ces agressions dans Le Courrier de l'Ouest et Le Monde, la députée de la 4e circonscription du Maine-et-Loire, Laetitia Saint-Paul, s'est emparée du sujet. Pour cette députée et capitaine de l'armée de terre, invitée de France Bleu ce mardi, le cas "de Manon Dubois, est le cas de trop. On est sur un mode d'action classique : un agresseur qui a fait ses preuves opérationnelles, et une jeune recrue pleine de talent, de vie, agressée qui se fait éjecter de l'institution". Depuis son soutien public, Laetitia Saint-Paul reçoit "trois témoignages par jour sur ce sujet, partout en France", ce qui montre, selon elle, "l'ampleur du problème." Aujourd'hui, "loin de Brest", Manon Dubois fait les marchés sur l'Île d'Oléron, là où elle a grandi.

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