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"Une main aux fesses est vite arrivée" : la parole se libère à l'hôpital, y compris dans le Poitou

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Une semaine après l'apparition du hashtag "MeToo hôpital" sur les réseaux sociaux, la parole continue de se libérer. Dans les centres hospitaliers du Poitou, comme dans le reste de la France, plusieurs soignantes et patientes témoignent d'un climat sexiste généralisé.

Image d'illustration. Image d'illustration.
Image d'illustration. © Maxppp - Alexandre MARCHI

Sept ans après le début du mouvement de libération de parole "Me Too", de nombreuses soignantes et patientes témoignent depuis une semaine avec le hashtag "MeToo hôpital" sur les réseaux sociaux. Dans la Vienne et les Deux-Sèvres, comme dans le reste du pays, beaucoup de femmes parlent d'un climat de sexisme généralisé dans les centres hospitaliers, d'une "culture carabine qui fait des ravages" et d'un "sentiment d'impunité des agresseurs".

"C'est des gonzesses en stage, on va pouvoir se faire plaisir"

Joséphine, par exemple, est étudiante en médecine et externe au CHU de Poitiers. "Il se passe des choses à l'hôpital, que ça vienne des patients ou que ce soit entre soignants, et c'est très souvent étouffé. Une main aux fesses, c'est vite arrivé. Il y a aussi des gestes médicaux qui nécessitent d'être vraiment très proches des patients et certains soignants se permettent par exemple de toucher les seins, d'agripper les fesses ou d'avoir des mains un peu volantes."

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Il y a aussi ce qu'elle appelle "la violence verbale". "Ces petites réflexions, qui s'accumulent et qui font rire jaune, qui mettent mal à l'aise. Des réflexions du style 'ah ben tiens, c'est que des filles en stage, c'est que des gonzesses, on va pouvoir se faire plaisir'. Ça, ça m'est déjà arrivé par exemple. On ne peut pas trop réagir parce qu'on se dit que si on vexe le médecin ou le patient qui nous dit ça, ça sera très compliqué. Pour soi, pour la suite du stage, ou même pour la suite de la prise en charge."

"Si tu t'évanouis, il n'y aura pas de prince charmant pour te réveiller. Il y aura juste mon gros pied dans ta gueule."

Sandra se souvient aussi d'une phrase lors de son premier stage au CHU de Poitiers. "Le médecin m'a fait asseoir au bord du lit pendant plusieurs heures sans me parler et en répétant qu''aujourd'hui, on ne peut plus rien dire aux femmes'. Et puis à un moment, il me montre un examen un peu compliqué qu'il va faire sur le patient. Et là il me lance : 'T'es sûre que tu es prête à voir ça ? Parce que si jamais tu t'évanouis, ici, c'est pas un conte Disney, il n'y aura pas de prince charmant pour te réveiller. Il y aura juste mon gros pied dans ta gueule'."

Le hashtag #MeToo hôpital a émergé il y a une semaine sur les réseaux sociaux. Image d'illustration.
Le hashtag #MeToo hôpital a émergé il y a une semaine sur les réseaux sociaux. Image d'illustration. © Maxppp - Luc Nobout

"Je suis restée choquée, les yeux écarquillés à ne pas comprendre ce qu'il s'était passé. S'il voulait me prévenir, il pouvait le dire dans d'autres termes, pas besoin d'être sexiste. Si j'avais été un homme, jamais il ne m'aurait dit 'il n'y aura pas de princesse pour te réveiller'. Et puis en tant que femme, en tant qu'étudiante, je pouvais rien dire face à un homme de pouvoir, un médecin qui sait tout alors que moi je ne savais rien."

Anonymement, plusieurs soignantes répètent avoir été la cible de remarques sexistes sur leur lieu de travail. Une jeune médecin se souvient du traitement de son amie lors d'un stage "parce qu'elle ne riait pas aux blagues" de son chef de service. "Elle se retrouvait tout derrière au bloc, derrière les garçons. Pratique pour observer les gestes du médecin." Une autre, infirmière, évoque les surnoms qu'on lui a souvent donné au début : "poulette", "jolie", "ma chérie".

"On sait qui agresse qui et qui fait remonter quoi"

"Quand on fait remonter les situations, ils veulent tout de suite des noms mais c'est trop risqué de parler. Tout se sait, on sait qui agresse qui et qui fait remonter quoi. Par peur on se tait beaucoup. Mais c'est triste de toujours vivre ça et j'espère vraiment que ça changera un jour", conclut Sandra.

Selon le syndicat CNI du CHU de Poitiers, plusieurs affaires sont en cours de procédure. Dans un sondage publié l'an dernier, le syndicat avait également alerté sur les conditions de travail des personnels du centre hospitalier. 18% d'entre eux disaient notamment avoir déjà été victime de harcèlement, sexiste ou moral.

Sondage réalisé sur les sites du CHU à Poitiers, Châtellerault, Montmorillon, Loudun et Lusignan.
Sondage réalisé sur les sites du CHU à Poitiers, Châtellerault, Montmorillon, Loudun et Lusignan. - Syndicat CNI

Contactée par France Bleu Poitou, la direction du CHU de Poitiers n'a pas répondu pour l'instant aux questions de la rédaction.

Une libération de la parole chez les patientes également

Cette libération de la parole entraine aussi celle de nombreuses patientes sur le plan national. Le CHU de Poitiers ne fait pas exception. Sophie y a été suivie il y a plusieurs années pour des problèmes cognitifs, maux de têtes, mal aux oreilles, vertiges, insomnies. En errance médicale, elle a "atterri dans un énième service que je ne nommerai pas" et y a rencontré un médecin qui l'a très vite mise "mal à l'aise".

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"Dès la deuxième consultation, il me touchait la poitrine et à chaque fois il voulait voir mon pubis. Donc il soulevait mon pantalon, il soulevait ma culotte et il regardait le pubis, il appuyait là. Troisième fois, pareil. La quatrième fois, je lui ai fait remarquer que je ne voulais pas qu'il m'ausculte étant donné que tous mes malaises étaient surtout d'ordre cognitif et sensitif, les oreilles, la tête, tout ça. Donc rien à voir avec le pubis. J'avais même fait un noeud avec les lacets de mon pantalon pour pouvoir le bloquer comme ça."

"Cette fois-là, il m'a quand même auscultée mais il n'a pas osé regarder le pubis et il était énervé. A ce moment-là, on se sent démunie, parce qu'il a autorité, parce que c'est un professeur, un sachant. Je sentais que ce n'était pas normal et pourtant je participais à ça puisque je le laissais faire. Et c'est pour ça que du coup, on se tait."

Sophie a été vue ensuite par une deuxième spécialiste. "Je lui ai raconté que j'avais été auscultée par ce professeur et elle m'a répondu 'ah, il aime bien les femmes ce monsieur'. Elle m'a dit que je n'étais pas la première à être très mal à l'aise et qu'il faisait des choses un peu limites. Je me suis sentie abusée."

Image d'illustration.
Image d'illustration. © Maxppp - Rémy PERRIN

À Niort, un dispositif spécial mis en place pour aider les victimes à parler

Contactés, plusieurs syndicats des Deux-Sèvres, dont Force ouvrière, saluent en revanche le récent travail de la direction du Centre Hospitalier de Niort. Un dispositif vient d'être mis en place pour mieux protéger les victimes quand elles dénoncent des agressions ou du harcèlement.

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"Il peut y avoir un sentiment d'impunité des médecins", explique Delphine Launnay, la directrice du personnel et des relations sociales de l'hôpital. "Il faut savoir que le directeur, et c'est bien une des difficultés à l'hôpital, n'a pas d'autorité disciplinaire sur les médecins. Donc si un jour il y a un problème avec un médecin, le directeur doit saisir le Centre National de Gestion avec un dossier complet pour demander une sanction. Or, aujourd'hui, peut-être que le siège est débordé, mais peu de procédures aboutissent véritablement."

Le dépôt de plainte encouragé

D'où l'importance, selon elle, de porter plainte au pénal. "Ce n'est pas sous l'angle disciplinaire mais sous l'angle pénal qu'on peut faire aujourd'hui évoluer les choses. Il faut une plainte, une enquête de police, pour obtenir une condamnation."

Et en interne ? "Ce qu'on peut faire évoluer à l'intérieur des établissements, c'est de mettre en place des dispositifs spécifiques de signalement, comme on vient de le faire à l hôpital de Niort, pour que les personnes se sentent protégées d'emblée, qu'elles n'aient pas peur des représailles, qu'elles puissent avoir une garantie de confidentialité et qu'elles puissent se sentir écoutées et orientées. S'il n'y a pas de dispositif spécifique, c'est très difficileLes gens considèrent alors que tout le monde sait mais si rien n'est dit officiellement, l'action n'est pas possible."

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