Neufchef, oui chef

Dans la cour de l’école communale de garçons de Neufchef, on entend une mouche voler. Le diptère est entré par la grille, comme tout le monde, est allé faire un tour du côté de la cabane de planches située au fond de la cour en bourdonnant, attiré par le produit des intestins noués d’élèves angoissés, ceux qui n’ont pas assez révisé leurs leçons – il y a quelques années encore, il aurait volé au-dessus du tas de fumier posé devant la mairie-école qui faisait alors office de toilettes, pour finir par atterrir sur la tempe du maître d’école. La mouche se pose pile à l’endroit où bat une veine sous l’effet de la colère. Elle semble jauger la situation, hésite à repartir… et puis une main surgit et l’écrase d’un coup, sans ménagement.  

Le maître dégage le cadavre de la mouche d’une chiquenaude avant de revenir aux garnements auxquels il passe un savon. La bande de gamins qui lui fait face ne moufte pas, effrayée à l’idée de subir le même sort que celui de l’insecte. Exceptionnellement, on a fait entrer quelques filles dans la cour – contrairement à l’école, en ce début des années 50, l’engueulade est mixte. C’est le Père Divo, le curé, qui a envoyé les garnements vers le maître d’école ; tant pis si l’on est samedi, il n’y a que lui qu’ils écoutent. 

Entre les enfants de chœur qui se soulagent dans le bénitier et sa bouteille de vin de messe qui devient de plus en plus claire, allongée à la flotte à mesure que les morveux tapent dedans, l’homme d’église ne sait plus à quel saint se vouer. Il a beau les menacer avec son légendaire « plumeau », en réalité une verge à l’aide de laquelle il leur fout des raclées lorsqu’ils vont trop loin, rien n’y fait. Les parents, eux, ont mieux à faire que de distribuer des torgnoles, alors c’est le maître qui s’y colle.