Un travesti du Cap d'Agde porte plainte contre son syndic de copropriété pour discrimination

"Je suis tombé des nues en ouvrant le courrier" explique Frédéric, plus connu sous le nom de Lisa, la Panthère rose. Ce retraité, ancien ingénieur des travaux publics, possède depuis trois ans un appartement au camp naturiste du Cap d'Agde. Ce travesti est aussi, depuis septembre 2023, secrétaire du conseil syndical (associations de copropriétaires). Ses tenues dérangent. Sa manière d'être aussi.

Habitué du camp naturiste bien avant d'y acheter un appartement, Frédéric vient de porter plainte à la brigade de gendarmerie de Servian pour provocation publique à la discrimination en raison de son orientation sexuelle.

Cet homme, hétérosexuel et qui vit en couple, nous reçoit chez lui à Puissalicon au nord de Béziers, en jupe courte, perruque blonde. "Je vais avoir bientôt 63 ans. Mes tenues peuvent surprendre, mais je me considère comme une fille depuis que je suis né.

Mes parents voulaient une fille. J'ai toujours été très efféminé. Enfant, on me disait toujours 'Mademoiselle'. Il m'est arrivé d'aller travailler en short à dentelles très court. Ça faisait toujours rire mon patron. C'est ma manière de vire. L'été, je ne porte que des accessoires féminins".

Fin mars, le syndic qui gère la copropriété "Port Nature 3" est-il allé trop loin en envoyant de son siège social à Béziers, un courrier anonyme à l'ensemble des copropriétaires en complément des charges à payer ? Une lettre de quatre pages, signée par "un collectif de copropriétaires" non identifié. "Quel courage. On me discrimine en raison de mon orientation sexuelle. On me débine du début à la fin avec des allusions à mon travestissement".

"Depuis que je suis né, je n'ai jamais été autant traîné dans la boue qu'au village naturiste où j'ai acheté"

Frédéric dit être la cible de propriétaires, indirectement soutenus par l'actuel syndic, que nous avons décidé de ne pas nommer. "Des conversations privées sont sorties de leur contexte pour m'atteindre. S'ils veulent dire que je suis bon à rien ok. Mais ce n'est pas honnête. Le courrier n'est pas signé. On me met tout sur le dos car je suis travesti. Parce que j'ai eu l'audace de venir à une réunion du conseil syndical habillé en fille. Mais ce n'était pas indécent. On met que j'étais en jupette, fesses à l'air".

"Il est inadmissible qu'un membre du conseil assiste à des réunions déguisé, jupette, fesses à l'air" - Extrait du courrier envoyé.

"Le conseil syndical (association de copropriétaires), dont je suis secrétaire depuis septembre, voulait changer de syndic, car la gestion est jugée catastrophique" explique Lisa. "Je ne suis pas à l'origine de ce projet, mais je l'ai soutenu et porté. Je suis persuadé qu'on me le fait payer aujourd'hui."

Dans cette lettre anonyme, les auteurs dénoncent non seulement son incompétence, son comportement et ses tenues déplacées : "Il est inadmissible qu'un membre du conseil, en l'occurrence M. Denis, organise et assiste à des réunions  carrément déguisé et de surcroît à l'extérieur du village. C'est un manque de respect, de politesse et de sérieux. Quelle image déplorable donne-t-il de notre copropriété ?"

"Dans mon propre village à Puissalicon, je suis mieux reçu, même par le maire Michel Farenc"

"Vous savez, jamais j'aurais pu penser que le syndic de copropriété m'adresse un courrier comme celui-là. Surtout de personnes fréquentant le village naturiste. Dans mon propre village à Puissalicon, je suis bien accepté. Même par Monsieur le maire. Il m'a même proposé de rejoindre son association. Depuis que j'ai acheté l'appartement au village naturiste, j'ai toujours été rejeté avec ma femme qui est noire".

"Oui, je suis profondément blessé par cette attitude. C'est la première fois, depuis que je suis né, que je suis attaqué de la sorte. Même dans une cité de la banlieue parisienne je n'ai jamais été malmené ainsi. Nous ne sommes pas échangistes avec ma femme. Mes tenues déplaisent, c'est certain, mais nous ne sommes pas libertins. J'aime le village naturiste, pour l'ambiance. Je fais des shows gratuitement à l'Arche 2 avec ma femme (la panthère noire)."

Depuis l'envoi de ce courrier, les corbeaux ont été identifiés. Ils sont une quarantaine

Des copropriétaires choquées

"Je ne comprends pas que le syndicat ait envoyé ce courrier. C'est fâcheux et maladroit. Je suis choqué aussi par le jugement de certains propriétaires. Surtout, ici" confie Richard à France Bleu Hérault. Il vit à l'année au camp naturiste et comme les autres propriétaires, il a été destinataire de ce mailing. "J'ai appelé le syndic. Il n'a pas mesuré la portée des propos du courrier. Et je reste surpris du comportement de ceux qui ont signé. Ce n'est pas parce qu'il y a une barrière, que le monde naturiste est meilleur".

"Lisa, voulait changer de syndic. Cette lettre était sans doute pour lui faire payer" - Richard

"Je pense que oui, effectivement, c'était un peu le but" dixit Richard. "Le courrier envoyé allait dans le sens de la promotion du syndic actuel. On peut comprendre que dans une copropriété, les gens soient d'un avis différent. Que le syndic ait envoyé ce courrier, c'est sans doute pour se protéger, pour dire, 'regardez, tous les propriétaires ne sont pas d'accord sur le fait qu'on change de syndic'. C'est très maladroit surtout pour un syndic qui gère un grand nombre de propriétés dans le village. Il y a une notion de connaissance des mœurs, de la connaissance de la tolérance que l'on a ici. Il a zappé complet. Sincèrement, je ne comprends pas".

Un syndic dépassé, " Nous reconnaissons notre erreur"

Le responsable du syndic de copropriété n'a pas souhaité réagir, mais reconnaît son erreur. "J'aurais dû relire les quatre pages. Les dernières phrases sont malheureuses. Je m'en veux terriblement. Je n'ai aucun jugement sur personne. Voilà 17 ans que je fais ce métier. J'ai toujours été neutre, mais malheureusement, c'est courant que des circulaires soient envoyées à la demande des propriétaires."

"Sincèrement, c'est une querelle entre propriétaires qui dure depuis des années. Je ne m'en occupe pas. Si je n'avais pas envoyé le document, le collectif l'aurait fait d'une autre manière. J'ai lu le début du courrier, pas la fin. Je m'en veux. Oui les propos sont déplacés. C'est inadmissible, je le conçois et je regrette de ne pas avoir tout lu".