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Incendies : la stratégie des pompiers girondins en cause ? Des Landais s’interrogent

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Le commandement des pompiers girondins a-t-il laissé brûler la forêt des Landes de Gascogne ? Voilà une question particulièrement polémique, qui est en train de monter dans les milieux de la sylviculture, des spécialistes du risque incendie en forêt et même chez certains pompiers landais.

Des pompiers attaquent le feu sur leur CCF lors de Landiras 2. Des pompiers attaquent le feu sur leur CCF lors de Landiras 2.
Des pompiers attaquent le feu sur leur CCF lors de Landiras 2. © Maxppp - Arnaud Journois

Après les incendies qui ont ravagé des milliers d'hectares de forêt en Gironde et dans les Landes cet été, les choix stratégiques du commandement des pompiers girondins sont remis en cause. Dans les milieux de la sylviculture, des spécialistes du risque incendie en forêt et même chez certains pompiers landais, on s'interroge. Une polémique qu'a voulu éteindre ce jeudi 29 septembre Fabienne Buccio, la préfète de Gironde et préfète de la région Nouvelle-Aquitaine, obligée de monter au créneaux pour défendre les pompiers girondins lors d'une conférence de presse. 

Des pompiers landais s'interrogent sur la stratégie de leurs voisins

Cette question particulièrement sensible est d'abord arrivée à nos oreilles par des pompiers landais, alors que les derniers incendies de l'été fumaient encore dans le massif des Landes de Gascogne. Hors micro, car ne voulant pas stigmatiser leurs collègues, ces pompiers landais nous ont raconté qu'ils ne comprenaient pas la stratégie défensive mise en place par le commandement des pompiers girondins lorsqu'ils ont été envoyés en renfort sur les incendies de Gironde. 

Ils nous regardaient comme des Américains

"J'ai des collègues qui rentrent des feux de Gironde en me disant : 'On ne comprend pas'", explique un de ces pompiers. "On est arrivé, on a fait comme on fait chez nous, et ils nous ont regardé comme si on était des extraterrestres à rentrer dans le massif et à aller chercher le feu." Un autre pompier va dans le même sens : "Q_uand on rentrait dans le massif, ils nous regardaient comme des Américains._"

La stratégie d'attaque du feu naissant en question

Le cœur de la polémique porte sur la stratégie opérationnelle des pompiers face à un incendie de forêt. Des pompiers et des spécialistes du risque incendie en forêt évoquent deux techniques opérationnelles, d'ailleurs décrites dans le Guide de techniques opérationnelles, de la direction générale de la sécurité civile. Face à un feu naissant – car aucune de nos sources n'évoque la nécessité d'envoyer des pompiers à l'intérieur d'un feu incontrôlable et qui a atteint une énergie telle qu'il produit des flammes de plus de 30 mètres – il y aurait ceux qui, avec leur camion feux de forêt, entrent dans le massif, dans les arbres, en quittant les pistes pour attaquer le feu directement. Il s'agit d'une stratégie offensive. Et puis il y aurait ceux qui attendent avec un gros déploiement de moyens que le feu arrive sur les pistes. Il s'agit d'une stratégie défensive. 

On n'a, a priori, pas tout à fait les mêmes méthodes

C'est ce que décrit Nicolas Chevalier, pompier landais et président départementale du syndicat autonome SPP : "Mes collègues se sont interrogés et moi j'ai la même interrogation. On n'a, a priori, pas tout à fait les même méthodes [que les Girondins]. La méthode landaise, historique, c'est une méthode d'attaque pénétrante."

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"Si on fait un bilan, et je me permets de le faire même si je ne devrais peut-être pas, et qu'on va m'attaquer sur ça, on a des surfaces brûlées dans les Landes qui sont moindres. Il s'agit du même massif, ce sont les mêmes conditions météo, les mêmes conditions de vent, c'est à peu près les mêmes camions et on a à peu près les mêmes formations. On n'a juste pas la même stratégie", décrit-il. 

Le syndicaliste l'avait d'ailleurs écrit dans un courrier envoyé à la préfète des Landes, le 15 septembre dernier, alors qu'il attirait l'attention de ses autorités de tutelle sur "de nombreux matériels vieillissants voir obsolètes". Dans ce courrier, il commençait son propos par ces mots : "[...] Cette saison nous conforte dans notre stratégie offensive de lutte contre les incendies de forêt." 

Peut-on comparer ?  

Un spécialiste landais du risque incendie en forêt reconnu nationalement pour son expertise et ancien pompier, confirme qu'il y a matière à se poser des questions. D'abord parce que lui aussi parle de stratégies différentes entre Landais et Girondins. Mais aussi, et c'est primordial, car il confirme qu'il peut être fait une comparaison : "C_'est le même massif forestier des Landes de Gascogne entre les deux départements, la même temporalité et les mêmes conditions climatiques_". Ce spécialiste souhaite rester anonyme car, en tant qu'expert, il est auditionné sur ces feux de l'été hors-normes par l'inspection générale de l'administration, un audit censé nourrir les réflexions au plus haut sommet de l'Etat, car le président Emmanuel Macron doit prendre la parole sur les leçons de cette saison d'incendies le 14 octobre prochain. 

Lors de sa première prise de contact avec les services du ministère de l'Intérieur, ce spécialiste landais a d'ailleurs fait une remarque à ce sujet : "Je leur ai dit : 'Regardez le feu de Saumos en Gironde et le feu de Herm dans les Landes. Les deux feux commencent à 45 minutes d'intervalle. Plus de 3000 hectares brulés en Gironde contre 50 dans les Landes.

Une comparaison qu'un pompiers landais nous avait d'ailleurs déjà soumise : "Le même jour de septembre, deux feux éclatent à la même heure. L’un à Saumos, l’autre à Herm. On a les même conditions météo, le même vent, le même massif. Nous, dans les Landes, 50 hectares brûlent. En Gironde, ils courent encore après et il a déjà brûlé des milliers d’hectares. Et tout l’été, ça a été comme ça ! C’est un scandale", assure-t-il.

Lors de l'incendie qui s'est produit à Herm mi-septembre.
Lors de l'incendie qui s'est produit à Herm mi-septembre. © AFP - Jérôme Gilles

La DFCI, la défense des forêts contre l'incendie en Nouvelle-Aquitaine, a d'ailleurs fait les comptes : en 2022, il y a eu 558 départs de feux de forêt en Gironde, pour 31.113 hectares brûlés, selon des statistiques arrêtées au 19 septembre dernier, soit en moyenne, 56 hectares brulés par départ de feu. Dans les Landes sur la même période, il y a eu 159 départs de feu de forêt pour 1.206 hectares brulés, ce qui fait 7,5 hectares brulés par départ de feu. Le ratio est 7 fois inférieur dans les Landes qu'en Gironde. 

Le débat également dans les casernes girondines

Le sujet polémique n'est pas cantonné qu'aux seuls pompiers landais qui, répétons-le, ne critiquent pas l'engagement de leurs collègues soldat du feu girondins, mais pointent une problématique de stratégie du commandement. Sébastien Dephot, président du syndicat autonome des pompiers de Gironde, confirme qu'il y a aussi des questionnements chez eux : "On parle beaucoup entre pompiers. Donc oui, le débat est déjà dans les casernes entre les jeunes pompiers et les anciens qui ont beaucoup d'expérience en forêt."

En revanche, le pompier girondin refuse d'entendre que lui et ses collègues ont laissé brûler la forêt. Il dément aussi avoir reçu des ordres du commandement demandant de simplement attendre le feu le long des routes. "Non, on n'a pas laissé brûler la forêt ! En revanche, il y a des choses qui sont différentes, c'est le matériel." Le représentant syndical bordelais explique que les pompiers girondins disposent de camions feu de forêt beaucoup plus récents que ceux des Landais. Les constructeurs fournissent désormais des châssis de véhicule beaucoup moins adaptés pour pénétrer la forêt. "Les petits CCF, comme possède le SDIS des Landes, ont une capacité pénétrante beaucoup plus importante. Si demain le SDIS des Landes renouvelle son parc matériel avec les même CCF en terme de gabarit que les nôtres, il y aura plus d'hectares qui seront brûlés dans les Landes."  

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Des sylviculteurs sinistrés "en colère"

Mais si certains pompiers s'interrogent comme certains spécialistes des feux de forêt, les plus remontés sur cette polémique de l'attaque des feux naissant, ce sont des sylviculteurs sinistrés, comme Bernard Mesplède. Il est sylviculteur, réside à Léon (Landes) et il possède des milliers d'hectares dans les Landes et en Gironde. Dans les incendies de Landiras, en Gironde, 125 hectares de ses pins ont brûlé. L'ancien médecin thermal de Saint-Paul-lès-Dax avait profité d'un débat organisé par nos confrères de Sud-Ouest le 27 septembre dernier pour invectiver Marc Vermeulen, le directeur du SDIS de Gironde, sous les applaudissements de certains sylviculteurs présents dans la salle. 

Les forestiers au travail fin août après les incendies de Landiras.
Les forestiers au travail fin août après les incendies de Landiras. © Radio France - Bastien Munch

"Je n'accuse pas du tout les soldats du feu, ce sont des héros." — Bernard Mesplède, sylviculteur landais

"Je suis en colère contre ce qui semble être une erreur de stratégie de la part des pompiers girondins", attaque Bernard Mesplède qui accuse les pompiers d'avoir laissé brûler la forêt par manque de moyens. "Je n'accuse pas du tout les soldats du feu, ils font leur maximum, ce sont des héros. Je dénonce la stratégie retenue par le haut commandement girondin qui consiste à attendre le feu au bord de la route."

Le sylviculteur landais lance ce coup de gueule en espérant que des leçons seront retenues pour les années à venir. Il attend de pied ferme les résultats d'une enquête demandée par le syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest. 

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Des "critiques injustes" pour la préfète de région 

Fabienne Buccio, la préfète de région et de Gironde, tenait ce jeudi 29 septembre une conférence de presse de rentrée. Elle était accompagnée par le directeur du SDIS de Gironde, Marc Vermeulen, pour faire le bilan des incendies de cet été et évoquer l'après. Sans que personne ne pose de questions, Fabienne Buccio a démarré son intervention ainsi : "Tous les sapeurs pompiers de France vont à l'attaque du feu. Noter des différences entre eux relève de l'ineptie." 

La priorité des priorités reste la défense de la vie humaine et des biens

Le contrôleur général, Marc Vermeulen, a poursuivi en ce sens : "Il y a la stratégie qui est commune à tous les départements de France qui font du feu de forêt, à savoir la stratégie d'attaque des feux naissant". Mais le directeur du SDIS 33 note tout de même des différences entre les Landes et la Gironde. Il y a plus d'habitants en Gironde et plus d'habitations à protéger dans le massif forestier. "La priorité des priorités, cela reste toujours la défense de la vie humaine et la défense des biens. Mais en parallèle de cela, la tactique d'attaque des feux naissant était toujours d'actualité au même titre que l'on pénètre dans le massif."

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Marc Vermeulen, contrôleur général, directeur départemental des pompiers de Gironde.
Marc Vermeulen, contrôleur général, directeur départemental des pompiers de Gironde. © Maxppp - Stéphane Lartigue

La préfète de région assume donc ces choix de priorité et les revendique : "On savait avec Marc Vermeulen qu'on aurait ce genre de critiques. Ce n'est pas anormal mais c'est injuste, inexact et très désagréable pour nos pompiers. Ils y étaient à la tête de feu. Mais ils protégeaient aussi les habitations. C'est un dosage qu'il faut trouver et la forêt a été protégée dans l'ordre des priorités. Et imaginez si aujourd'hui on avait un village qui brûlait. Qu'est-ce que vous seriez en train de me demander ? Pourquoi ils ont protégé la forêt et pas les habitations ? On a des priorités, on les assume et on les respecte.

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Le patron des pompiers de Gironde, Marc Vermeulen, a souligné que sur 4.400 bâtiments exposés au feu, moins de 1% avaient été détruits et qu'aucune victime n'était à déplorer dans cette saison hors-norme. 

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