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Rafle des enfants d'Izieu : le témoignage du dernier enfant survivant, Samuel Pintel

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Il y a 80 ans, 44 enfants juifs étaient raflés à Izieu, enlevés par les nazis un 6 avril 1944, puis déportés à Auschwitz. En un an, 105 enfants au total se sont réfugiés là pour échapper aux persécutions antisémites, une soixantaine a survécu, dont Samuel Pintel qui raconte aujourd'hui son histoire.

Samuel Pintel est le dernier enfant à avoir quitté la maison d'Izieu, en janvier 44, avant la rafle d’avril. Samuel Pintel est le dernier enfant à avoir quitté la maison d'Izieu, en janvier 44, avant la rafle d’avril.
Samuel Pintel est le dernier enfant à avoir quitté la maison d'Izieu, en janvier 44, avant la rafle d’avril. © Radio France - Lionel Cariou

Revenir dans ces lieux où il a vécu entre fin 1943 et janvier 1944 n'est jamais anodin pour Samuel Pintel. Il est l'un des anciens enfants d'Izieu, ces enfants juifs, cachés dans cette colonie pendant la guerre, à Izieu, dans l'Ain, pour fuir les persécutions nazies. Quand il revient dans ces murs, celui du dortoir, où France Bleu Isère a installé ses studios ce 4 avril 2024, 80 ans après les faits, Samuel Pintel se souvient : "à 8h, c'était l'heure de l'école". Comme il le décrit dans son livre, tout juste paru et intitulé "L'enfant d'Izieu", dans ce dortoir se "trouvait une trentaine de petits lits disposés tout autour de la pièce, tête contre le mur. Le parquet était rustique fait de larges planches irrégulières et disjointes. La lumière éteinte, seule restait allumée une veilleuse qui pendait d'une poutre au centre de la pièce. Comme il n'était pas commode de sortir nuitamment pour aller au cabinet, un grand seau posé au milieu du dortoir permettait à chacun de se soulager".

Une vie rude

Car vivre à Izieu, en 1943, était rude et les conditions spartiates. Il n'y avait pas d'eau dans le bâtiment, mais une fontaine "l'été, c'était agréable, on barbotait", mais l'hiver, "c'était moins agréable" se souvient Samuel Pintel, "parfois, le matin, il faisait encore nuit. Lever 7h pour la classe, 8h le petit déjeuner, le barbouillage dans le noir et parfois une pellicule de glace à la surface de l'eau du bassin".

Lui est arrivé à la colonie des enfants refugiés d'Izieu à l'âge de 6 ans, presque sept. À l'époque, il ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe, mais il est déjà marqué. Il arrive à Izieu, traumatisé, après avoir "échappé par miracle à une rafle violente de la gendarmerie allemande à Annecy". Il était réfugié, avec sa mère, dans une pension de famille désaffectée, utilisée pour assigner à résidence environ 50 hommes, femmes et enfants juifs. C'est dans une carriole, sur le vélo de Miron Zlatin, cofondateur, avec sa femme Sabine, de cette colonie, que Samuel Pintel arrive à Izieu. Il arrive dans un état de "désolation totale, complètement choqué par ce qui nous est arrivé. C'est extrêmement brutal. Nous sommes néanmoins accueillis dans une maison chaleureuse, des enfants partout, une activité débordante, puis des personnes qui s'occupent de nous" se souvient-il avec reconnaissance.

"Ce qui me tourmentait toujours, c'était de ne pas savoir où se trouvait ma mère"

Un semblant de vie recommence alors. Dans son livre, Samuel Pintel évoque les pliages minutieux de papier qui lui occupent l'esprit : "nous créions des bateaux, des avions ou encore des cornettes de bonnes sœurs. Nous avions une prédilection pour les cocottes. Ces distractions méticuleuses me permettaient, l'espace d'un instant, d'oublier les sombres pensées qui occupaient l'esprit". Si le couple Zlatin et les éducateurs qui les entourent s'efforcent de les réconforter, les enfants sont pour la plupart orphelins, leurs parents déjà déportés. Grâce aux "relations qu'on pouvait avoir, aux jeux. On arrivait à oublier les périodes difficiles. Mais ce qui me tourmentait toujours, c'était de ne pas savoir où se trouvait ma mère. Qu'est-ce qui lui était arrivé ? Et pour moi, elle était perdue. Et pire, c'est qu'elle ne savait pas où je me trouvais et, moi aussi, j'étais perdu".

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Après la guerre, Samuel Pintel ne se souvient pas vraiment d'Izieu, "Je ne le connaissais même pas. Je ne savais pas à quel endroit cela se trouvait. J'ai estimé à environ une vingtaine de kilomètres de Chambéry, puisque tiré par un vélo dans une carriole, on ne pouvait pas aller très très loin". Puis le procès Barbie, en 1987, fait résonner en lui des souvenirs. Il contacte Sabine Zlatin. Elle n'a pas été raflée, le 6 avril 1944, mais son mari oui. Elle était partie chercher une autre maison pour accueillir les enfants, sentant l'étau nazi se resserrer autour d'eux.

Transmettre cette mémoire

Lorsqu'il la rencontre, Samuel Pintel lui demande si elle possède encore des documents d’archives à son nom. Elle répond d'abord par la négative, avant de retrouver des lettres, des dessins d’enfants ou des listes de présence. Samuel Pintel se rend alors compte qu'il est le dernier enfant à avoir quitté la maison, en janvier 44, avant la rafle d’avril. Le dernier survivant. Il décide alors de s'engager pour transmettre la mémoire de ce lieu, pour témoigner de ce qu'il a vécu. Depuis vingt ans, il intervient auprès des élèves, dans les classes, avec les professeurs.

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Aujourd'hui, il est choqué par le peu de temps et de place accordés à ce travail de mémoire à l'école. "Quand je les rencontre, les élèves m'écoutent, mais... ils ne savent pas ce qui s'est passé ! C'est ce qui me choque le plus dans le cursus scolaire, la Seconde Guerre mondiale, ça occupe un temps relativement limité. Quant à la Shoah, ils n'en ont jamais entendu parler ! L'histoire des enfants d'Izieu, ils ne la connaissent pas. On n'en parle pas assez" regrette-t-il.

La Maison d'Izieu accueille chaque année 18.000 scolaires autour d'expositions temporaires ou permanentes, et en accueille de plus en plus chaque année depuis cinq ans. "En venant à la maison d'Izieu, si les classes se déplacent, regardent cette expo, les images, et écoutent les informations qui sont transmises par ce lieu, ils vont faire l'acquisition de connaissances qui vont aller nettement au-delà de tout ce qu'ils pourront apprendre pendant tout leur cursus scolaire" assure Samuel Pintel, qui invite élèves et professeurs à venir à la Maison d'Izieu.

  • LIVRE - "L'enfant d'Izieu", de Samuel Pintel, aux éditions Harper Collins
"L'enfant d'Izieu" de Samuel Pintel.
"L'enfant d'Izieu" de Samuel Pintel.

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