Passer au contenu
Publicité

Manifestations pro-palestiniennes : tout comprendre au mouvement en cours dans plusieurs universités du pays

De
- Mis à jour le
Par
  • France Bleu

Quelques jours après une mobilisation pro-Gaza sous tension à Sciences Po à Paris, des protestations se sont tenues sur plusieurs autres campus français depuis le début de la semaine. Voici ce qu'il faut savoir sur ce mouvement, qui fait écho aux manifestations aux États-Unis.

Mobilisation de militants à Sciences Po Paris. Mobilisation de militants à Sciences Po Paris.
Mobilisation de militants à Sciences Po Paris. © AFP - Julien DE ROSA

Début d'un sit-in à Science Po Paris, grèves de la faim, évacuation devant la Sorbonne : les actions de militants pro-palestiniens sur les campus français se sont poursuivies ce jeudi, avec un gouvernement qui redouble de vigilance. Pourquoi les étudiants se mobilisent-ils ? Comment se passent les blocages ? Pourquoi ces manifestations sont-elles vivement critiquées ? Ont-elles un lien avec celles, plus tendues, qui se déroulent aux États-Unis ? France Bleu vous explique.

Publicité

L'occupation de Sciences Po Paris comme point de départ

À Sciences Po Paris, établissement prestigieux, le premier rassemblement, organisé par le comité Palestine, a débuté mercredi 24 avril, un mois et demi après des incidents lors de l'occupation d'un amphithéâtre. Les étudiants exprimaient leur soutien aux Palestiniens à Gaza et réclamaient que Science Po "coupe ses liens avec les universités et les entreprises qui sont complices du génocide à Gaza" et "la fin de la répression à l'encontre des voix pro-palestiniennes sur le campus", a indiqué une étudiante en master à l'AFP. Les étudiants qui occupaient le campus du 1 rue Saint-Thomas ont ensuite été délogés. Une centaine d'étudiants se sont réunis pour protester contre cette évacuation et le mouvement s'est poursuivi : Keffiehs sur la tête, drapeaux palestiniens accrochés aux balustrades, slogans fustigeant Israël, plusieurs dizaines d'étudiants bloquaient les locaux historiques.

La tension est ensuite montée d'un cran avec l'arrivée d'une cinquantaine de manifestants pro-Israël criant notamment "Libérez Sciences Po" ou "Libérez Gaza du Hamas". Les forces de l'ordre sont alors intervenues pour séparer sans violence les groupes puis exfiltrer les manifestants pro-Israël. Les étudiants qui manifestaient étaient accompagnés par cinq députés de La France insoumise, accusés de souffler sur les braises de la contestation.

Après l'accord de la direction pour organiser un débat interne, le mouvement a finalement été suspendu. Mais ce jeudi 2 mai, après ce débat qu'ils ont jugé "décevant, mais sans surprise", les étudiants du comité Palestine de Sciences Po ont annoncé le lancement d'un "sit-in pacifique" dans le hall de l'école et le début d'une grève de la faim par six étudiants "en solidarité avec les victimes palestiniennes". L'occupation du campus a été votée par une centaine d'étudiants réunis en assemblée générale, selon une membre de ce comité. Les grèves de la faim continueront jusqu'à "la tenue d'un vote officiel non anonyme au conseil de l'Institut pour l'investigation des partenariats avec les universités israéliennes", a déclaré Hicham, du comité Palestine. La direction de Sciences Po Lyon a demandé aux étudiants occupant l'amphithéâtre de l'école de quitter les lieux sous peine de faire appel aux forces de l'ordre.

"Ça a été un débat dur, avec des prises de position assez claires, beaucoup d'émotion", a indiqué Jean Bassères, l'administrateur provisoire de Sciences Po. Il a indiqué avoir "pris des positions assez fermes sur certains sujets", en refusant "très clairement la création d'un groupe de travail qui était proposé par certains étudiants pour investiguer nos relations avec les universités israéliennes". Il a appelé au "calme" avant le début des examens lundi et "à la responsabilité de chacun".

Mobilisation à Sciences Po Paris le 26 avril 2024
Mobilisation à Sciences Po Paris le 26 avril 2024 © AFP - Laurent Demartini / Hans Lucas

Accusations d'antisémitisme

Le militantisme des étudiants pro-Gaza à Sciences Po est accusé d'alimenter l'antisémitisme sur le campus. "Qu'on fasse preuve de solidarité à l'égard des Palestiniens, qu'on montre le rejet des crimes qui sont commis à Gaza, c'est naturel", a jugé Raphaël Glucksmann, tête de liste du Parti socialiste et de Place publique aux européennes, sur BFMTV. "Après (...), est-ce qu'on est capable d'organiser des discussions avec ceux qui ne partagent pas le point de vue ?" a-t-il complété. Pour le président du Conseil représentatif des institutions juives de France Yonathan Arfi, qui s'exprimait sur LCI, même si le mouvement à Sciences Po n'a "rien de massif", "ça fonctionne, ça prend en otage le campus entier, ça empêche la liberté académique et fait peser un climat de terreur intellectuelle sur une partie des étudiants juifs".

Le 12 mars, des propos antisémites avaient été dénoncés par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) lors d'une "journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine", ce que les pro-Gaza avaient réfuté. Ce jour-là, environ 300 étudiants et militants pro-palestiniens avaient occupé un amphithéâtre de la prestigieuse école.

Les subventions à Sciences Po Paris coupées ?

Plusieurs figures de la droite, dont François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux prochaines européennes, ont demandé au gouvernement de geler les subventions publiques à l'école après les blocages. L'État "ne coupera pas sa subvention" à Sciences Po Paris, a répondu le 30 avril la ministre de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau.

De son côté, Valérie Pécresse, présidente LR de la région Ile-de-France, a décidé le 29 avril la "suspension" des financements de la région (soit un million d'euros). "Nous suspendons nos financements le temps que l'ordre revienne, une suspension provisoire en attendant que le désordre cesse" à Sciences Po, a précisé Othman Nasrou, vice-président de la collectivité.

L'administrateur provisoire de Sciences Po, Jean Bassères, a "regretté" dans le Monde cette décision de Valérie Pécresse. Il a indiqué vouloir la rencontrer pour la "rassurer sur ses inquiétudes" : "Je ne me fais personnellement pas à l'idée que l'attitude d'une minorité d'étudiants puisse pénaliser les 15.000 étudiants de Sciences Po".

Des manifestations qui s'étendent à d'autres universités

Après l'action à Sciences Po Paris, le mouvement s'est propagé à plusieurs autres facultés dans les jours qui ont suivi. Les étudiants de l'antenne de Reims ont occupé les locaux de leur établissement samedi 27 avril, obligeant la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) à délocaliser sa convention nationale.

Non loin de Sciences Po, devant la Sorbonne, où la police était déjà intervenue lundi 29 avril pour évacuer des manifestants, près de 300 étudiants venus de différents campus se sont réunis ce jeudi 2 mai et ont organisé un campement d'une vingtaine de tentes. "Nous sommes tous des enfants de Gaza", "Palestine vivra, Palestine vaincra !", ont scandé les manifestants, avant d'être délogés une heure plus tard par plus d'une centaine de membres des forces de l'ordre.

L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) organisera vendredi une "table du dialogue" place de la Sorbonne, pour "débattre avec les étudiants juifs", "lutter contre la polarisation du débat" et "montrer que l'on peut se mobiliser sans insulter et invectiver".

À Saint-Etienne, une quinzaine d'étudiants pro-palestiniens ont bloqué une antenne de Sciences Po puis ont été évacués le lendemain. À Lille, l'Institut d'études politique était fermé ce jeudi 2 mai et les accès à l'École supérieure de journalisme (ESJ) bloqués.

À Sciences Po Lyon, "une petite centaine" de personnes occupaient ce jeudi soir un amphithéâtre, a indiqué une représentante du syndicat étudiant Unef à l'AFP. Un grand drapeau palestinien a été déployé sur le bâtiment, a constaté l'AFP. Deux cents personnes avaient déjà manifesté dans la cour de Sciences Po Lyon mardi 30 avril, selon le journaliste de Radio France sur place.

Manifestation des étudiants à Grenoble pour un cessez-le-feu à Gaza, 30 avril 2024
Manifestation des étudiants à Grenoble pour un cessez-le-feu à Gaza, 30 avril 2024 © Radio France - Julien Balidas

Le campus de Menton, dans les Alpes-Maritimes, a fermé ses portes le mardi 30 avril et "jusqu'à nouvel ordre" en raison de l'occupation des bâtiments par une trentaine d'étudiants. À Grenoble (Isère), une manifestation des étudiants de l'université s'est tenue devant les locaux de Sciences Po tout comme à Strasbourg. Le campus de Tolbiac à Paris était également fermé mardi en raison de la mobilisation d'étudiants.

Des banderoles pro-Palestine ont été accrochées à l'entrée de Sciences Po Strasbourg
Des banderoles pro-Palestine ont été accrochées à l'entrée de Sciences Po Strasbourg © Radio France - Eloïse Roger

La manifestation à Sciences Po Paris "fait tache d'huile", a estimé Éléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante, qui a assuré que ce mouvement était "très loin d’une minorité agissante", en réponse aux propos de Gabriel Attal qui dénonce "le spectacle navrant" d'une "minorité dangereuse".

La ministre demande aux présidents d'établissements de "maintenir l'ordre"

La ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau a demandé ce jeudi 2 mai aux présidents d'université de veiller au "maintien de l'ordre" public, en utilisant "l'étendue la plus complète des pouvoirs" dont ils disposent, notamment en matière de sanctions disciplinaires en cas de troubles ou de recours aux forces de l'ordre, lors d'une intervention en visioconférence au conseil d'administration de France Universités.

À l'issue de cet échange, France Universités, qui fédère 116 établissements d'enseignement supérieur dont 74 universités, a "salué la détermination de la ministre à porter une voie équilibrée et ferme pour un retour au calme".

"C'est une minorité d'étudiants qui sont électrisés par LFI", a dénoncé ce jeudi sur franceinfo la ministre. Selon elle, "les expressions d'étudiants, quand elles sont faites correctement, c'est le signe d'une démocratie vivante, saine". Mais la ministre dénonce une "exaltation" du mouvement de la part de La France insoumise "qui utilise cela à des fins électoralistes". "Il faut que LFI mesure la gravité des conséquences de leur cynisme", a-t-elle ajouté.

"Le problème, c'est l'instrumentalisation politique"

Invité mercredi de franceinfo, Michel Deneken, président de l'Université de Strasbourg et de Sciences Po Strasbourg, et à la tête de l'Udice, association des dix plus grosses universités françaises de recherche, estime que les blocages sont "quand même peu nombreux" et concernent "peu de personnes", en revanche, il estime que c'est "l'instrumentalisation politique" qui pose problème. À ses yeux, la mobilisation pour Gaza est "une cause juste" et "tout à fait légitime".

Pourtant, Michel Deneken s'est dit "frappé" du "peu de pédagogie" dans ce mouvement alors que l'université "a un moyen par excellence qu'est le débat, la critique", d'autant que "la situation à Gaza est extrêmement compliquée". "Je pense que, par exemple, celles et ceux qui sont sincèrement épris de la cause palestinienne devraient avoir un goût un peu plus prononcé pour la pédagogie", a-t-il appuyé.

Un mouvement qui rappelle celui des États-Unis

Ces protestations résonnent avec les manifestations de plusieurs universités américaines, lancées pour la première fois à l'université de Columbia de New-York il y a une douzaine de jours. Cent personnes avaient été interpellées le 18 avril. Ils réclamaient la fin de la guerre qui ravage Gaza et le boycott par leur université de toute activité en lien avec Israël.

Depuis, des centaines d'autres - étudiants, enseignants et militants - ont été interpellées, parfois arrêtées et poursuivies en justice dans plusieurs universités du pays comme à Austin, Boston, Princeton et Harvard. Les images de policiers anti-émeutes intervenant sur les campus, à la demande des universités, ont fait le tour du monde.

Intervention des forces de l'ordre à l'université de New York le 20 avril 2024
Intervention des forces de l'ordre à l'université de New York le 20 avril 2024 © AFP - Fatih Aktas / ANADOLU

Interrogée par l'AFP la semaine dernière, Lorélia Fréjo, de l'organisation étudiante Le Poing Levé Paris 1, assurait que la manifestation à Sciences Po avait aussi pour objectif de "rejoindre ce qui se passe dans différentes universités en ce moment aux États-Unis". Mais l'influence du mouvement américain reste marginale, selon le ministère de l'Enseignement supérieur. Ce dernier explique que "la ministre (Sylvie Retailleau, NDLR) est bien sûr vigilante", mais que "les contextes sont tout de même très différents d'un établissement à l'autre". "À ce stade, c'est essentiellement à Sciences Po que la mobilisation à l'américaine tente de s'exporter."

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

L'info en continu

Publicité

undefined