Surexposition aux écrans : "les parents doivent donner l'exemple"

Dans un rapport remis ce mardi au gouvernement, la commission d'experts spécialement missionnée par le gouvernement pour étudier la question de la surexposition des enfants aux écrans alerte sur "la réalité de l'hyper connexion subie des enfants" et "les conséquences pour leur santé, leur développement, leur avenir", mais aussi pour l'avenir "de notre société, notre civilisation". La commission préconise d'interdire l'usage des écrans aux enfants de moins de trois ans et de téléphones portables aux moins de 11 ans, en limitant strictement l'accès les années suivantes pour les adolescents.

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À l'occasion des 14e rencontres auxerroises du développement durable,  Sylvie Dieu-Osika, pédiatre et membre du "collectif surexposition écrans" était en conférence le 28 avril dernier à Saint-Bris-Le-Vineux. On en a profité pour lui poser des questions.

France Bleu Auxerre - Pourquoi les écrans sont-ils un danger pour les jeunes enfants ?

Sylvie Dieu-Osika - Ils sont en danger parce que, comme pour nous, les enfants se retrouvent captés. Il y a une problématique sous jacente dont on ne parle pas assez souvent, qui s'appelle la "captologie" ou le "persuasiv design", tout un système qui est fait pour qu'on ne le lâche pas. Vous-même, avec votre portable, vous ne lâchez pas du fait de différentes recettes. Eh bien il se passe exactement la même chose avec le tout petit bébé. Et la deuxième chose importante qu'on connaît peu, c'est la "technoférence", c'est à dire le parent qui est lui même capté par l'écran et qui ne sera donc pas disponible comme il devrait l'être auprès de son enfant, du petit comme du plus grand. Et après les enfants font comme leurs parents. Le parent est intéressé par le portable. L'enfant va s'intéresser à ce qui intéresse le parent et très vite le cercle vicieux va s'installer.

L'argument qui est souvent donné par les parents qui laissent leurs enfants devant les écrans, c'est que ça les éveille. Est-ce que c'est vrai ?

Non, c'est complètement faux et l'industrie numérique est très forte pour faire passer ces messages qui sont tout à fait faux. Il n'y a rien d'éducatif malheureusement, il n'y a rien de pédagogique et rien ne remplace le parent. Seul le parent peut apprendre la langue maternelle à son enfant.

"Il y a moins d'échanges, et des échanges de moins bonne qualité"

Quel est l'impact de ces écrans sur le développement des enfants ?

C'est ce que je vois dans ma consultation surexposition-écran. Ça a un impact extrêmement négatif. Les enfants n'apprennent pas à parler, n'ont pas de langage, ils ne font que le perroquet. Ils répètent ce qu'ils ont entendu sur YouTube Kids à longueur de journée. Et ce ne sont pas des mauvais parents. Ce sont des parents qui se sont fait complètement avoir et qui ont rendu leur enfant captif de ces images comme eux-mêmes le sont. Et donc il y a des troubles du sommeil associés, des troubles de l'attention, des troubles de la motricité fine. Les enfants ne sont plus entraînés à jouer et à faire des choses avec leurs petites mains. Ils ont des troubles des interactions avec les autres. Ils sont mal socialisés ou pas du tout. Bref, ça a un impact extrêmement large sur leur développement.

Ce phénomène des écrans est-il nouveau ?

La télévision a toujours été aussi très étudiée depuis plusieurs décennies et on sait que cette télévision allumée en arrière plan, posait déjà des problèmes. On croit qu'une télévision allumée dans le salon ne pose pas de problème à l'enfant. Eh bien si, il y a moins d'échanges, et des échanges de moins bonne qualité. Mais la télévision était beaucoup moins addictive qu'elle ne l'est maintenant. Et c'est lié aux contenus et aux programmes en fait. Parce que maintenant, c'est 24 h sur 24 et les contenus sont faits pour que nous ne lâchions pas. Il y a des fréquences d'images, des fréquences de sons...

Vraiment, on donne un produit addictif aux petits comme aux grands, donc forcément ils sont captés. Et comme l'enfant a besoin d'apprendre beaucoup de choses sur sa journée, eh bien il perd beaucoup en qualité d'apprentissage, si c'est trop utilisé. Mais je voudrais dire tout de suite que utiliser Skype ou Teams ou Zoom ou autre ne pose pas de problème à l'enfant. Donc on peut écouter la grand mère à l'autre bout du monde, il n'y a aucun souci. Et puis les écrans, quand on les utilise pour filmer un enfant, pour des images, pour des photos, ça ne pose pas de problème non plus. On parle bien de contenus qui entraînent une captation de l'enfant, donc c'est différent.

"Pas d'écran avant l'âge de deux, trois ans et demi"

Quelles sont les bonnes pratiques ?

D'abord, je pense qu'il faut se poser la question très tôt de son utilisation du portable et de l'écran quand on veut avoir un enfant. Donc quasiment pendant la grossesse, ce serait important de se dire : "maintenant, comment on fait, est-ce qu'on laisse la télé allumée, est-ce qu'on utilise son téléphone en permanence quand bébé va arriver ?" Après, quand le bébé est là, on essaie d'éteindre la télé quand l'enfant est dans la pièce et on n'utilise pas son portable en donnant le sein ou le biberon. Il faut vraiment avoir des moments d'interaction avec une bonne disponibilité. Et puis après, quand l'enfant est plus grand, on va donner des règles très très vite. Donc en tous les cas, pas d'écran avant l'âge de deux, trois ans et demi. Tant que l'enfant ne sait pas bien parler, il a besoin d'apprendre et l'écran ne lui apprend rien.

Après, on gère avec trois temps et un lieu. Il ne faut pas d'écrans dans les chambres, donc les parents doivent donner l'exemple. Dans mon livre, la toute première clé, c'est d'abord :"vous parents, qu'est ce que vous faites?" Et puis les trois temps qui sont importants, c'est pas le matin, on petit déjeune, on fait des choses ensemble, mais on utilise le moins possible écrans. Pas pendant les repas pour avoir un échange de qualité et pas 1 h avant de dormir. Parce que là aussi, il est préférable de lire des histoires sur un livre et d'être loin de cette lumière bleue qui peut nous empêcher de nous endormir.