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Quand les médicaments tuent, des parents lancent un cri d'alarme

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Romy, 22 ans, Noé, 19 ans, Anaïs, 25 ans, sont morts en voulant décrocher d'une addiction aux stupéfiants ou aux médicaments. Selon leurs parents, le traitement qui leur a été prescrit les a tués. Ils plaident pour que l'État fasse de la sur-médication une question de santé publique.

Pour sortir de l'addiction à la drogue ou aux médicaments, on prescrit d'autres médicaments. Un cercle infernal que dénoncent les familles de victimes. Pour sortir de l'addiction à la drogue ou aux médicaments, on prescrit d'autres médicaments. Un cercle infernal que dénoncent les familles de victimes.
Pour sortir de l'addiction à la drogue ou aux médicaments, on prescrit d'autres médicaments. Un cercle infernal que dénoncent les familles de victimes. © Maxppp - Richard Villalon

Le premier qui a contacté France Bleu Isère, c'est Bruno. Sa fille Romy, 22 ans, est morte en août 2022, seule, chez elle, à Grenoble. Victime d'un viol dans son adolescence, elle était devenue accro à la morphine. Elle avait réussi à se sevrer, mais était devenue dépendante aux médicaments et faisait de fréquentes crises d'angoisse. En août 2022, elle s'adresse au service d'addictologie du CHU de Grenoble. On lui prescrit de la méthadone, des benzodiazépines, des somnifères.

"Elle décèdera quatre jours après" s'indigne son père, Bruno, qui a déposé un recours devant le tribunal administratif de Grenoble. Son avocate nous précise : "Un référé expertise a été diligenté auprès du TA de Grenoble, suite à notre requête. L'expertise est toujours en cours."

Bruno, le père de Romy, a déposé un recours devant le TA de Grenoble
Bruno, le père de Romy, a déposé un recours devant le TA de Grenoble © Radio France - Véronique Pueyo

"Elle voulait reprendre ses études, s'en sortir, vraiment, cette fois"

"Malgré son état, ma fille n'a pas été hospitalisée. J'ai parlé avec elle en visio. Elle gardait les yeux fermés, je voyais que cela n'allait pas. Je lui ai dit d'arrêter son traitement. Elle m'a dit qu'à l'hôpital, on lui avait dit que c'était normal au début. Elle voulait reprendre ses études, s'en sortir, vraiment, cette fois. Et elle est morte. L'autopsie a confirmé la détresse respiratoire et l'expertise toxicologique confirme aussi l'asphyxie, dûe au traitement car elle n'avait rien pris d'autre. Elle portait aussi une montre connectée qui affichait une saturation en oxygène qui est descendue à 67 % et une hyperventilation, à 36 respirations par minute. Le traitement l'a étouffée" détaille Bruno.

Romy, à l'adolescence.
Romy, à l'adolescence.

Pas de commentaire du CHU de Grenoble

Nous avons sollicité le CHU de Grenoble. Voici sa réponse : "Le CHU ne s'exprimera pas sur le sujet, mais nous sommes à la disposition de la justice pour apporter tous les éléments nécessaires au dossier. Le CHU adresse également ses condoléances à la famille et aux proches de la jeune femme décédée."

Une réponse qui ne satisfait pas Bruno : "Je sais que la bataille va être rude. C'est le pot de terre contre le pot de fer, mais je me bats pour la mémoire de ma fille, qu'on veut faire passer pour une paumée, qui avait des problèmes cardiaques. Elle ne méritait pas de mourir comme çà ! Même l'Agence du médicament dit que les décès en France par surdosage de méthadone est en hausse, à 34 %. Il faut arrêter de donner ce cocktail mortel à nos enfants !"

"Mon fils était devenu un zombie" - Jean-Claude, père de Noé

Nous avons contacté un autre père, Jean-Claude, qui vit dans la Drôme. Lui aussi va déposer un recours devant le tribunal administratif de Grenoble. "À 19 ans, mon fils Noé était toxicomane. Il buvait, il fumait beaucoup de cannabis. Il prenait parfois de la cocaïne ou de la kétamine, lors des fêtes avec ses amis. Il était suivi à l'hôpital de Valence. Pour soigner ses addictions, il était tellement shooté aux médicaments, qu'il était devenu un vrai zombie. On avait alerté l'hôpital à plusieurs reprises."

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Un mois avant sa mort, Noé retourne au CMP, le centre médico-psychologique qui dépend de l'hôpital psychiatrique de Drôme-Vivarais. On lui donne du Subutex. "La prise de ce médicament doit être très encadrée, mais on l'a renvoyé chez lui, seul, avec son sac plein de médicaments." regrette Jean-Claude. "Et le 13 octobre 2022, les gendarmes nous ont appelés, ma femme et moi, pour nous dire que Noé était mort. C'était horrible. L'autopsie a montré qu'il était décédé d'un arrêt respiratoire, suite à la prise du traitement. À l'hôpital, on nous a dit qu'ils avaient fait ce qu'ils avaient pu et que c'était un accident. Mais moi, je dénonce l'absence de suivi médical de mon fils. Ma démarche auprès de la Justice, c'est pour faire bouger les choses, que les pratiques changent ! Car des exemples comme le mien, il y en a plein ! Mais je pense qu'il y a une sorte de tabou dans les familles. On garde çà pour nous et on fait son deuil tout seul."

Bruno approuve : "Oui, il y a d'autres familles qui ont vécu ou qui vivent la même chose que nous. Pourtant, j'ai cherché mais je n'ai pas trouvé d'association. Je lance un appel. Que ces personnes me contactent. Ensemble, on est plus fort. On sait que ce traitement peut tuer. Pourquoi continue-t-on à la prescrire ?"

Noé, 19 ans, est mort d'un arrêt respiratoire, après une prescription de Subutex
Noé, 19 ans, est mort d'un arrêt respiratoire, après une prescription de Subutex

Anaïs, accro aux médicaments, sous méthadone durant quatre ans

Nous avons aussi rencontré Brigitte, une Iséroise dont la fille Anaïs est décédée des suites d'une sur-médication, dans un appartement thérapeutique à Grenoble en janvier 2020. Elle avait 25 ans. D'entrée, Brigitte évoque "une folie médicamenteuse de dingue. Ma fille était migraineuse depuis l'adolescence. Elle a pris du codoliprane, qui à l'époque était en vente libre. Elle m'a avoué qu'elle en prenait 36 par jour! C'était comme des Smarties ! Elle est devenue addict à la codéïne. Elle m'a dit une fois que son médecin, c'était son dealer!" À partir de 2016, on lui a donné de la méthadone et elle en a pris durant quatre ans, jusqu'à son décès ! Vous vous rendez compte ! Alors que normalement, c'est un traitement de substitution pour décrocher de la drogue. Elle avait beaucoup grossi, elle était incapable de travailler. On l'a retrouvée morte, chez elle, assise à sa table en train de manger un yaourt. L'autopsie a conclu a un "coma toxique et une insuffisance respiratoire et l'enquête a été classée sans suite."

"Que l'État se saisisse de cette question de santé publique" - Brigitte, maman d'Anaïs

Brigitte ne veut pas déposer plainte. "Cela demande trop d'énergie et la disparition d'Anaïs a fait éclater notre famille. Saisir la justice, je n'en avais pas l'énergie. Mais il y a trop de jeunes, en France, qui meurent à cause de sur-médication. Je sais que la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, mais les pouvoirs publics doivent se saisir de cette question de santé publique et réfléchir : mettre en place un vrai protocole, permettre un vrai suivi des patients."

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Ces trois histoires dramatiques se ressemblent. Nous nous sommes donc tournés vers le docteur Bruno Revol. Pharmacologue, au CHU de Grenoble, il étudie les effets indésirables des médicaments au sein du centre de pharmaco-vigilance ainsi que la mortalité par overdose, dans le cadre du service d'addicto-vigilance. Pas question pour lui de rentrer dans les cas particuliers, mais il a accepté de faire le point sur ces deux enquêtes, dont les résultats sont publics.

Les deux enquêtes du centre de pharmaco-vigilance

"Oui, un médicament peut tuer. Tout médicament présente des bénéfices et des risques. C'est ce rapport bénéfices-risques qu'il faut évaluer. C'est ce que l'on documente dans nos deux enquêtes annuelles. L'enquête DRAMES (Décès en Relation avec l'Abus de Médicaments et de Substances) étudie les causes de la mort des usagers de drogue. Et puis l'enquête DTA (Décès Toxiques par Antalgiques) s'intéresse aux décès de monsieur et madame tout-le-monde, liés à l'usage de médicaments antalgiques."

Alors quels sont les médicaments qui tuent les usagers de drogue ? "Les médicaments de substitution, comme la méthadone ou la buprénorphine, plus connue sous le nom de Subutex, peuvent tuer. Pourtant, quand on a commencé à en donner, en France, dans les années 90, on en a vu les bienfaits chez les usagers de drogue. Cela a réduit la mortalité, les infections par VIH. Mais certaines complications cardiaques, liées en particulier à la méthadone, peuvent survenir quand on en prend avec d'autres médicaments ou d'autres drogues" explique le docteur Revol.

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Et quels sont les médicaments qui peuvent tuer le patient lambda ? "Je pense au Tramadol. C'est un opioïde, à visée antalgique, de la même famille que la méthadone ou la morphine" poursuit le docteur Revol. "En cas de surdosage, il peut être mortel. Il peut tuer aussi dans des contextes d'association avec d'autres médicaments sédatifs, comme les benzodiazépines, très prescrits en France. Il y a alors un risque de dépression du système nerveux central, donc du cerveau, et cela peut provoquer une détresse respiratoire."

En 2019, on a enregistré 648 décès par surdose, dont 503 recensés dans l'enquête DRAMES. "Les médicaments de substitution aux opioïdes sont, devant l'héroïne, les principales substances impliquées dans les décès par surdose." peut-on lire dans le Plan National de Mobilisation contre les Addictions, le PNMA.

Antidote aux overdoses

C'est pourquoi une des propositions du réseau de pharmaco-vigilance est de généraliser l'utilisation d'antidote contre les overdoses, qu'on appelle le Narcan. Aux États-Unis, où la crise des opioïdes est un véritable fléau chez les adolescents, on le retrouve fréquemment dans les cartables ! On n'en est pas encore là en France, mais le docteur Revol estime que cet antidote pourrait sauver des vies. Encore faut-il que la personne qui fait un malaise ne soit pas seule à ce moment-là et que son entourage soit formé pour lui administrer l'antidote. Romy, Anaïs et Noé, eux, étaient seuls, le jour de leur mort.

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Aujourd'hui, leurs parents doivent vivre sans eux, avec aussi un sentiment de culpabilité. "C'est vrai qu'on se demande souvent ce que l'on aurait dû faire, ce que l'on n'a pas fait" s'interroge Jean-Claude, le père de Noé. "Avec notre fils, nous n'avons jamais perdu le lien. La veille de sa mort, j'ai parlé avec lui au téléphone. Avant de raccrocher, il m'a dit : Papa, je t'aime. Et cela est précieux pour nous" conclut Jean-Claude, des larmes dans la voix.

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