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Patients décédés aux urgences : "Ça fait des années qu'on dit que ça craque", dénoncent les soignants

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Plusieurs décès de patients hospitalisés aux urgences ont été signalés ces derniers mois. Faute de données, difficile de savoir si le nombre de drames augmente. Mais les témoignages affluent. "Ça fait des années qu'on dit que ça craque", fustigent les soignants.

Dans l'entrée des urgences de l'hôpital d'Aix-en-Provence. Dans l'entrée des urgences de l'hôpital d'Aix-en-Provence.
Dans l'entrée des urgences de l'hôpital d'Aix-en-Provence. © Getty - BSIP

La mort de Lucas, 25 ans, après 10 heures à se tordre de douleur sur un brancard dans un couloir des urgences de l'hôpital d'Hyères, a remis en lumière la situation parfois dramatique de ces services. Plus récemment, une patiente de 86 ans est morte au cours de sa prise en charge aux urgences de l'hôpital de Nantes. À Bourgoin-Jallieu, un homme a porté plainte pour "non-assistance à personne en danger" contre l'hôpital, après le décès de son épouse de 61 ans, qui a attendu 11 heures aux urgences. À Saint-Tropez encore, un touriste allemand est décédé alors qu'il attendait depuis quatre heures aux urgences.

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Si les enquêtes en cours devront déterminer dans quelle mesure ces morts auraient pu être évitées, ces drames interrogent. Leur récurrence, surtout. Le seul chiffre officiel disponible en la matière est à prendre avec précaution : selon la Haute autorité de santé (HAS), 2.385 "événements indésirables graves associés aux soins" (soit un décès, soit un pronostic vital engagé, soit un déficit permanent) ont été enregistrés en France durant l’année 2022 - les dernières données disponibles. C'est 27% de plus qu'en 2021. Mais la HAS estime que cette augmentation "résulte certainement d'une meilleure connaissance du dispositif" de déclaration de ces événements. Elle précise d'ailleurs que ces données "déclaratives et non exhaustives" ne présentent "pas de valeur épidémiologique ou statistique".

Elle note toutefois que "plus de la moitié de ces incidents "ont été jugés évitables par les déclarants". En cause, des "erreurs liées aux soins ou à l’organisation des soins", dans plus d'un cas sur trois. Et notamment des "défauts et retards de prise en charge", écrit la Haute autorité de santé. Une chose est sûre : passer une nuit sur un brancard à l'hôpital augmente de près de 40% le risque de mortalité pour les patients âgés, selon une étude de l'AP-HP, de l'Inserm et de Sorbonne Université.

Ce mercredi, six députés, des syndicats et des associations ont plaidé, dans un courrier adressé à la présidente de l'Assemblée nationale, pour la création rapide d'une commission d'enquête sur cette crise des urgences et les "pertes de chances" vitales. "Il ne se passe plus une semaine sans que la presse ne relaie des histoires de patients décédés aux urgences, parfois sur un brancard, dans le couloir, faute de capacité de prise en charge adéquate", déplorent les auteurs de cette lettre envoyée à Yaël Braun-Pivet et consultée par l'AFP. Il faut "faire la lumière" sur le phénomène, alors que "tout prête à croire que ces situations tragiques sont en forte progression", estiment-ils.

"Ça fait des années qu'on dit que ça craque"

Rien d'étonnant pour Mathias Wargon, chef des urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. "Ça fait des années qu'on dit que ça craque", s'émeut-il. "Les patients s'entassent sur des brancards et attendent des heures, le personnel faisant tout son possible pour les prendre en charge", fustige Jérémy Beurel, le secrétaire général adjoint FO du CHU de Nantes. Mais "les équipes sont débordées et dans un épuisement important""Les urgences ne sont même plus surchargées, elles sont submergées", dénonce de son côté la Coordination nationale infirmière (CNI).

À l'image du CHU de Strasbourg, obligé en décembre dernier de déployer une unité sanitaire devant ses urgences, pour éviter l'engorgement. À l'hôpital de Pau, des patients ont été installés dans des bureaux, une salle de bain ou une salle de réunion pour éviter de rester sur des brancards. Aux urgences de Trévenans, dans le Territoire de Belfort, la direction a dû faire appel à la réserve sanitaire nationale en janvier : trois médecins, dix infirmiers et dix aides soignants sont venus renforcer les effectifs pendant un week-end. Selon la CGT, certains patients ont attendu "plus de trente heures, parfois jusqu'à soixante heures" sur des brancards. Une situation "de nature à compromettre gravement la santé des patients". Le pire ? Ce week-end-là, "il n'y avait strictement pas de pic épidémique ou de verglas", rien qui puisse expliquer cette saturation, s'étonne Céline Durosay, la présidente de la CNI de l'hôpital.

"Tout le monde vient aux urgences" car "pour avoir un rendez-vous de consultation de médecine générale, ça peut être quinze jours, trois semaines", avance Céline Durosay, qui refuse toutefois d'accabler les patients pour cette situation. Il y a dix ans déjà, une enquête du ministère de la Santé montrait que 20% des patients venaient aux urgences parce qu'ils n'avaient pas trouvé de médecin traitant.

La surfréquentation des urgences, c'est aussi l'une des explications avancées par le gouvernement. Selon le nouveau ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, "il y avait 10 millions de passages aux urgences il y a une douzaine d'années, on est à plus de 21 millions aujourd'hui". Un chiffre erroné. Après vérification de la cellule Vrai ou Faux de franceinfo, on comptabilisait plus de 18,7 millions de passages annuels aux urgences il y a douze ans, contre environ 20 millions en 2021, les dernières données disponibles. Une augmentation sensible donc, mais pas un doublement de la fréquentation, comme l'affirme le ministre.

40.000 lits en moins depuis 2013

Dans le même temps, la baisse des capacités d'accueil est quasi-constante depuis le début des années 2000. Près de 40.000 lits d'hospitalisation complète ont été supprimés entre fin 2013 et fin 2022, selon les services statistiques des ministères sociaux (Drees). Dont plus de 6.700 fermés rien qu'en 2022. Entraînant saturations des services, mettant sous pression les équipes et accentuant les tensions dans les services d'urgence, dénoncent régulièrement les soignants.

Résultat, une simple épidémie de grippe a obligé les urgences de l'hôpital de Vichy à activer le plan "hôpital en tension". La semaine dernière, les syndicats ont eux alerté la direction de l'hôpital du Havre d'un "danger grave et imminent" à cause de l'engorgement du service des urgences.

Des fermetures expliquées en partie, selon la Drees, par la pénurie de personnels. "Si des lits ferment, ça n’est pas par manque de moyens, c’est par manque de professionnels de santé"affirmait en décembre sur France Bleu Normandie Agnès Firmin Le Bodo, ministre de la Santé par intérim après la démission d'Aurélien Rousseau, pointant aussi "le développement de l’ambulatoire à l’hôpital". Depuis 2016, le nombre de places en ambulatoire a en effet augmenté de 25%, grâce aux progrès de la médecine "qui ont permis d'être opéré le matin et de rentrer chez soir, avec un gain de confort pour les patients", rappelle Nathalie Coutinet, chercheuse et économiste de la santé à l'université Sorbonne Paris Nord. La chercheuse estime toutefois qu'"on est arrivé au bout de ce qu'on peut faire en ambulatoire" : "À trop vouloir développer l'ambulatoire, on se retrouve à avoir des patients qui sortent alors qu'ils n'auraient pas dû sortir, avec des retours ensuite à l'hôpital", prévient-elle.

Des urgences régulées ou fermées

Faute de médecins urgentistes, de nombreux services des urgences sont désormais régulés, comme à Lannion, Angoulême ou encore Périgueux. À Saintes, cette situation avait valu une frayeur terrible à ce papa, dont la fille avait été refoulée des urgences, l'année dernière. Au Centre hospitalier intercommunal de Haute-Comté, à Pontarlier, il manque près de la moitié des effectifs aux urgences, six médecins sur les treize nécessaires. "On tourne à effectifs réduits de jour comme de nuit, sans arrêt, avec des heures supplémentaires"déplore Vincent Cattin, un des médecins urgentistes.

Quand les urgences ne sont pas tout simplement fermées. À Aubenas, les patients ont trouvé porte close pendant quatre nuits la semaine dernière, par manque d'effectif. Les médecins urgentistes en vacances ne peuvent pas être remplacés. Même chose aux urgences de Loches il y a une semaine, ou encore aux urgences pédiatriques de Saintes. En cas d'urgence, le 15 vous oriente, si besoin, vers d'autres hôpitaux.

Aux urgences de l'hôpital de Carpentras l'année dernière.
Aux urgences de l'hôpital de Carpentras l'année dernière. © Maxppp - Jérôme Rey

Un manque de soignants lié à une désaffection des métiers de la santé, là encore pointée par la Drees. Selon le service statistique des ministères sociaux, en 2022, 13% des apprentis infirmiers ont interrompu leurs études dès leur première année, contre 4% en 2014. Ce chiffre atteint 18% sur les trois années de formation. "C'était horrible, de voir les patients entassés sur des brancards, faire les soins dans les couloirs sans aucune intimité", relate Zoé, étudiante en Bretagne, qui rêvait des urgences. "Les malades angoissent, voudraient juste une présence. Nous, on passe cinq minutes, sans lien ni humanité. On est des robots".

L'objectif affiché du ministère de la Santé - qui a connu sept ministres depuis 2017 - est donc de "redonner de l’attractivité aux métiers de la santé", avec un "énorme enjeu de fidélisation des professionnels en place, pour arrêter cette spirale négative dans laquelle est le système de santé", indiquait Agnès Firmin Le Bodo fin décembre. Selon la Drees, près d'un infirmier sur deux a quitté l'hôpital ou changé de métier au bout de dix ans de carrière.

Des situations qui rejaillissent sur d'autres professions. Selon l'Assemblée des départements de France, les pompiers ont fait 50.000 km supplémentaires en 2023, faute d'effectifs suffisants dans les services d'urgences. "Pendant qu'ils passent leur temps à faire du transport, ce qui n'est pas leur rôle, ils ne le passent pas à secourir des personnes. Les véhicules sont indisponibles pour d’autres missions", dénonce sur France Inter Olivier Richefou, président (UDI) du Conseil départemental de la Mayenne et président du SDIS 53. Il estime que le surcoût s'élève à 70.000 euros pour l'année 2023. Et a donc décidé d'envoyer la facture à Frédéric Valletoux, le ministre délégué chargé de la Santé.

32 milliards pour l'hôpital

"J'ai parfaitement conscience des difficultés" que rencontre le personnel hospitalier, a assuré le Premier ministre Gabriel Attal, lors d'un déplacement au CHU de Dijon le 13 janvier, promettant "32 milliards d'euros supplémentaires" d'investissement dans la santé "dans les cinq ans". S'il souhaite faire baisser les recours aux urgences grâce à davantage "de prévention et d'accueil en ville", il considère que l'enjeu désormais porte sur "les ressources humaines". Il faut que "les postes ouverts dans nos hôpitaux soient pourvus".

Une annonce saluée par la profession : "Un geste très fort", d'après le syndicat Samu-Urgences de France, qui alerte toutefois à nouveau : l'hôpital public a "besoin d'un choc d'attractivité", insiste Marc Noizet, président du syndicat. "L'hôpital public est en difficulté pour attirer de nouveaux médecins, de nouveaux professionnels de santé et c'est ce qui fait sa souffrance actuelle".

"Ça semble colossal sur le papier, on prend acte, c'est une bonne nouvelle", a aussi réagi sur franceinfo Louis Soulat, vice-président du SAMU Urgences de France, chef des Urgences au CHU de Rennes. "Reste à savoir comment ce sera effectif". Si "on peut espérer qu'on va enfin revaloriser le travail de nuit, de garde, compte tenu de la pénibilité qui est encore insuffisamment rémunérée, on entend aussi que les centres de formation ne font pas le plein, que ce soit pour les soignants, pour les infirmiers". Avec ces conditions de travail, comment "donner envie" aux candidats aux métiers de la santé ?

Les médecins étrangers à la rescousse

D'autant que "les choses vont se tendre encore pendant cinq à sept ans", a prévenu sur France 2 Frédéric Valletoux, le ministre délégué chargé de la Santé. Il faudra attendre "quelques années", que "des générations plus importantes de jeunes médecins arrivent" pour que la situation s'améliore. "On a supprimé le numerus clausus. Il y a aujourd'hui 20% d’étudiants en plus en deuxième année qu'il y en avait il y a trois ans", indique le ministre, rappelant "qu'on ne forme pas un médecin comme ça, d'un claquement de doigt". Quant aux infirmières anesthésistes, celles à Bac+5 "doivent pouvoir entrer directement en troisième année de médecine" si elles ont plusieurs années d'expérience, a fait valoir Gabriel Attal fin janvier.

En attendant ces effectifs tant espérés, le nouveau ministre délégué à la Santé compte aussi sur les médecins étrangers, que la France "va continuer à accueillir", et qui exercent principalement dans les hôpitaux. Entre 4.000 et 5.000 Padhue (praticien à diplôme hors Union européenne) travaillent aujourd'hui en France, selon plusieurs syndicats. Précaires, mal rémunérés - généralement entre 1.500 et 2.200 euros -, il n'en demeure pas moins que "sans eux, le système s'effondre", estime Hocine Saal, chef des urgences de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a confirmé leur régularisation, annoncée par Emmanuel Macron.

Le Premier ministre va en outre "nommer un émissaire, chargé d'aller chercher à l'étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France", en particulier les "jeunes Français partis étudier la médecine à l'étranger". Aberrant, pour l'urgentiste Patrick Pelloux : "Ils projettent de faire venir 20.000 médecins des pays étrangers pour faire tourner des hôpitaux publics. Ça signifie que l'attractivité, ils veulent la faire sur des médecins qu'on prendrait à des pays étrangers, et dont ces pays ont besoin (...) Il y a une illogique politique qui est absolument dramatique en termes d'image pour notre pays" critique-t-il.

La question sensible des gardes

Dernière carte abattue par le gouvernement, Frédéric Valletoux a fait part de sa volonté de "motiver" les médecins libéraux à prendre plus de gardes, pour décharger les services d'urgences des hôpitaux. Actuellement, 40% des médecins libéraux effectuent des gardes, soit beaucoup moins qu'il y a dix ou vingt ans.

"Il ne s'agit pas d'appliquer une règle unique à l'ensemble du territoire, il s'agit juste d'essayer de motiver, valoriser, rendre plus attractive la participation aux gardes", assure le ministre, qui prévient toutefois que si les médecins libéraux n'y parviennent pas, il les contraindra à prendre davantage de gardes.

Une proposition "absurde", cingle Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur et président du collectif "Santé en danger". Lui trouve "démago, même mensonger" de "laisser penser qu'on va résoudre le problème des urgences dans les hôpitaux en restaurant" les gardes pour les médecins libéraux. "Si on travaille la nuit, on ne travaille plus le lendemain. Ça s'appelle le repos de sécurité. Donc la consultation du lendemain va être supprimée pour 30, 40, 50 patients", argumente-t-il sur franceinfo.

Alors qu'Emmanuel Macron a réitéré mi-janvier sa promesse de désengorger les services d'urgences**, lors de sa conférence de presse, Arnaud Chiche rappelle que "la crise Covid, c'était il y a bientôt quatre ans et elle avait mis en évidence l'état de l'hôpital français. À l'époque, on avait expliqué qu'on manquait de personnel. En quatre ans, la situation s'est dégradée".

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