Passer au contenu

La start-up dijonnaise EktaH rêve de vaincre l'obésité dans le monde

Par

Un médicament contre l'obésité ? C'est la promesse de la start-up EktaH, créée à Dijon en 2021, grâce à un comprimé qui leurre le cerveau pour lui faire croire qu'il a eu sa dose de gras. Alors que les essais cliniques devraient bientôt démarrer sur des patients, rencontre avec ses co-fondateurs.

Naïm Khan (à g.) et Xavier Boidevezi (à d.), co-fondateurs de la start-up EktaH, dans le laboratoire Naïm Khan (à g.) et Xavier Boidevezi (à d.), co-fondateurs de la start-up EktaH, dans le laboratoire
Naïm Khan (à g.) et Xavier Boidevezi (à d.), co-fondateurs de la start-up EktaH, dans le laboratoire © Radio France - Adrien Beria

EktaH, une start-up dijonnaise qui a l'ambition de "traiter un fléau mondial" : l'obésité. Le milliard d'obèses vient d'être dépassé dans le monde. Un Français sur six est obèse. "Si on ne réagit pas, d'ici 2030, un Français sur trois sera obèse. Vous voyez la gravité de cette maladie et l'urgence de notre stratégie", calcule le Pr. Naïm Khan, qui nous reçoit début avril 2024 dans son bureau de la faculté des sciences à Dijon, au tableau noir blanchi de formules tracés à la craie. Le traitement est espéré sur le marché du médicament à l'horizon 2030.

"On va leurrer le cerveau avec ces molécules qui n'apportent pas de calories"

À l'origine d'EktaH, des questions. "Pourquoi une personne obèse aime le gras ? Quel est le mécanisme de l'attirance pour le corps gras? Que faire pour traiter l'obésité et diminuer la prise alimentaire ?". Le professeur Khan découvre la présence de "récepteurs" sur les papilles gustatives d'une personne obèse. Le fruit de plus de quinze années de travail.

Au cœur du traitement développé par la start-up, on trouve ce qu'il appelle des "leurres lipidiques", des molécules de synthèse, pour résumer, du faux-gras : "On va leurrer le cerveau avec ces molécules qui n'apportent pas de calories. La personne qui va les utiliser... son cerveau va croire que les lipides arrivent, mais il n'y a pas le gras ! Du gras, sans gras". Le tout va provoquer un sentiment de satiété. Le produit, qui aura "le goût du gras", n'a pas encore de nom. Les molécules, oui. NKS-3 et NKS-5.

Ce médicament fonctionnera uniquement sur les personnes obèses. "On a démontré de façon claire et catégorique que ces molécules n'ont aucun effet chez une personne "normale", précise le Pr. Naïm Khan. C'est important, car il pourrait y avoir un abus, pour une personne qui voudrait perdre du poids, ce qui pourrait installer de l'anorexie. Non, ce n'est pas le cas, les molécules auront une action seulement chez l'obèse".

Les personnes en situation d'obésité morbide (ou massive) ne sont pas non-plus la cible. "Ces personnes, quoi qu'il en soit, la thérapie utilisée ne marche pas, le tissu adipeux (la masse grasse, ndlr) est très large. Il faut aller vers la chirurgie, détaille le scientifique. Par contre, les personnes obèses, pas très morbides, qui ont envie de perdre du poids, seront notre cible. On pourra apporter, pour eux, une solution durable".

Au départ, EktaH voulait développer un spray à vaporiser sur les aliments. Le médicament prendra finalement la forme d'une petite pilule. "Il peut y avoir des abus, on ne peut pas contrôler l'utilisation. La personne doit appuyer une fois, mais elle peut appuyer deux fois ou plus. Il y aura une manipulation de doses, et ça on doit éviter, explique Naïm Khan. On pense aller vers un comprimé orodispersible  (qui se dissout dans la bouche avec l'aide de la salive, ndlr)  qui va distribuer la quantité de molécule de manière exacte" .

Pourquoi ce professeur de physiologie de la nutrition, cofondateur de la startup EktaH, primé en 2020 par l'Académie de médecine pour ses recherches, a-t-il choisi ce domaine d'étude ? "C'est un peu personnel, répond-il. Je viens du tiers-monde, de l'Inde, ma mère était obèse. Elle disait toujours : "Je ne mange pas beaucoup, mais je suis obèse". Et c'est toujours resté dans ma tête, de voir, d'explorer, les mécanismes de l'obésité". Le nom de la société, EktaH, est également lié à sa propre histoire : "C'est un nom hindi. Ekta veut dire "l'unité entre les peuples", et on ajoute le "H" pour "l'humanité".

Où en sont les recherches ?

La start-up a été créée en 2021. Trois ans plus tard, les études pré-cliniques chez les animaux sont terminées, et réussies. Une étude a également été menée pour prouver l'innocuité - le fait que ce ne soit pas nuisible - chez l'homme sain. "Il n'y a aucun effet toxique ou néfaste chez l'homme. Nous avons le feu vert pour commencer la deuxième étape, la phase 2, de cette étude, chez l'homme obèse", annonce le professeur Khan.

La start-up vise un premier essai clinique sur des patients humains courant 2025. Le premier d'une longue série, où à chaque fois le nombre de patients volontaires augmente. Le périmètre de l'étude également, avec des patients répartis dans plusieurs pays. La commercialisation du médicament est espérée pour 2030.

Portrait de Naïm KHAN, Professeur de physiologie de la nutrition et cofondateur de la startup EktaH

Des financements à trouver

Dans la recherche, il y a l'aspect scientifique, et le volet économique. "On est complémentaires", assure le Pr. Khan. Il rencontre l'entrepreneur Xavier Boidevezi fin 2020, avec qui il fonde la société EktaH. "Il nous reste six à sept années de développement, qui sont principalement des études règlementaires", annonce ce dernier. EktaH, en avril 2024, c'est quatre co-fondateurs, trois nouveaux associés, et quatre salariés dans la société dans des domaines divers, chimiste, biologiste et gestion de projet.

Les avancées scientifiques vont dépendre des financements. Et vice-versa. Aujourd'hui, selon leur formule, ils "savent soigner des souris obèses". "Je souris quand les fonds d'investissement me disent : "Super votre molécule, mais le marché de la souris obèse ne nous intéresse pas tant que ça, prouvez-nous que ça marche sur l'homme et ce sera un grand pas en avant!", note Xavier Boidevezi. Un co-fondateur fier de l'avancée des recherches : "On arrive grâce aux molécules à réduire de près de 40% la prise alimentaire hebdomadaire des souris, tout en les maintenant sous un régime alimentaire hyper-gras".

Les chiffres peuvent faire tourner la tête. "Au global, le développement d'un médicament peut tourner aux environs de 70 à 100 millions d'euros. Pour nous, pour financer la prochaine étape, on parle de cinq à huit millions d'euros", calcule Xavier Boidevezi.

Comment trouver ces financements ? "C'est compliqué, il y a plein de manières. Par exemple en participant à des concours d'innovation". EktaH a ainsi été primée en 2022 au concours i-LAB, et lors d'un concours "France 2030". Un autre volet possible : "Convaincre les acteurs du secteur bancaire, ou BPI France, qui soutient l'innovation en France". Et puis, "c'est de renforcer les fonds de la société, en attirant des investisseurs extérieurs, du secteur, ou des fonds d'investissement. Il y a deux fonds dans la région, mais il faut aussi aller à Paris, aller à l'étranger".

À quoi sert cet argent ? "Développer un médicament, c'est la sécurité avant tout, détaille Xavier Boidevezi. La molécule doit être produite dans un niveau de qualité incroyable, c'est à peu près 20% du montant. On va devoir réaliser l'étude clinique, s'appuyer sur des CHU ou des organismes spécialisés, rémunérer les patients volontaires. Et puis il y a d'autres études, entre autres sur la toxicité du produit, avec des dizaines de rats sur plusieurs mois, c'est aussi un coût élevé".

En parallèle des études cliniques, la recherche va continuer, d'où les besoins en liquidités. "On aura besoin d'autres molécules, qui seront beaucoup plus spécifiques et puissantes", prévient le Pr. Khan. "D'autres molécules qui seraient potentiellement moins chères à produire, plus efficaces, plus naturelles, etc...", corrobore Xavier Boidevezi.

FRANCE 2030 | Lutter contre le surpoids avec EKTAH

Le rêve d'un leader mondial made in Dijon

La start-up partage ce rêve de vaincre l'obésité avec d'autres entreprises du secteur, comme le géant pharmaceutique danois Novo Nordisk. Une concurrence inégale... pour l'instant ? "On fait ridiculement petit, mais il faut avoir la vision. L'ambition d'EktaH c'est d'apporter des solutions thérapeutiques pour soigner le surpoids dans le monde. Il n'y a pas de raison de ne pas être un jour un Novo Nordisk français avec le siège basé en Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon", sourit Xavier Boidevezi.

Le co-président met en avant les exemples d'Oncodesign, "qui a commencé hébergé à l'université de Bourgogne", ou de Crossject, "qui a démarré il y a 20 ans avec pas grand chose et quelques personnes, et qui sont les futurs fers de lance de l'activité économique en santé en Bourgogne-Franche-Comté!".

Une précieuse molécule dans un tout petit flacon
Une précieuse molécule dans un tout petit flacon © Radio France - Adrien Beria

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

undefined