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Pesticides épandus près d'une école : il y a 10 ans, l'affaire de Villeneuve créait un "électrochoc national"

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Le 5 mai 2014, une vingtaine d'enfants et leur institutrice étaient victimes de malaise dans leur école du Blayais après l'épandage de pesticides par deux châteaux voisins. "Il y a eu un avant et un après Villeneuve", reconnaissent aujourd'hui les militants écologistes, mais aussi les vignerons.

L'école de Villeneuve-de-Blaye en mai 2024. L'école de Villeneuve-de-Blaye en mai 2024.
L'école de Villeneuve-de-Blaye en mai 2024. © Radio France - Jules Brelaz

C'est une affaire emblématique du vignoble bordelais dont le retentissement a dépassé les frontières françaises. Le 5 mai 2014, au cœur du Blayais, deux vignerons pulvérisent des produits phytosanitaires dans des rangs de vignes entourant l'école de Villeneuve. Au même moment, 28 élèves se trouvent dans la cour de récréation avec leur institutrice. "On devait répéter une musique dehors et ils ont passé le sulfate. La maîtresse, elle a commencé à sentir pas bien. Nous pareil. Mal à la tête, au ventre, envie de vomir, la gorge sèche, les yeux qui piquent", témoigne Noah, un enfant en CE2 au micro France Bleu Gironde de Xavier Ridon.

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"Ça a été monté en épingle"

Dix ans après l'histoire qui a entraîné un feuilleton judiciaire, le décor a peu changé dans le village. Villeneuve compte 408 habitants et autant d'hectares de vignes. Un mur sépare désormais la cour de récré des premiers ceps appartenant aux deux domaines de Côtes de Bourg mis en cause dans ce dossier. Le Château Castel La Rose, en viticulture conventionnelle, avait pulvérisé les fongicides Eperon et Pepper. "Des produits particulièrement inquiétants contenant notamment des molécules comme le mancozèbe, l'un des derniers produits reprotoxiques de niveau 1 autorisé en France jusqu'à son interdiction en janvier 2021", déclare l'association Alerte Pesticide Haute-Gironde.

Le Château Castel La Rose à Villeneuve-de-Blaye.
Le Château Castel La Rose à Villeneuve-de-Blaye. © Radio France - Jules Brelaz

Propriété du groupe producteur de cafés Richard, le Château Escalette, en viticulture biologique, avait lui épandu de la bouillie bordelaise, à base d'Héliocuivre et d'Héliosoufre. Relaxés en première instance, les deux Châteaux sont finalement condamnés en 2020 à des amendes avec sursis pour "utilisation inappropriée de produits phytopharmaceutiques". Une première dans l'histoire du vignoble bordelais.

"Ici, ce sont les châteaux qui nous font vivre"

Cependant, même une décennie plus tard, rares sont ceux qui acceptent de parler de "l'affaire". Ancienne propriétaire du Château Castel La Rose, la maire de l'époque réélue depuis, Catherine Vergès, ne souhaite pas s'exprimer. Silence radio également de l'ex-directeur de l'école. Hospitalisée en mai 2014, l'institutrice elle a quitté le Blayais.

Le Château Escalette (GAEC de Barbe) à Villeneuve-de-Blaye.
Le Château Escalette (GAEC de Barbe) à Villeneuve-de-Blaye. © Radio France - Jules Brelaz

Certains habitants ont mal vécu le balai des ambulances des pompiers ce jour-là et puis le cortège de journalistes défilant dans la commune durant des mois, voire des années. "Ça faisait mal de voir que tout devenait terrible dans notre petit village", se souvient Murielle dont la maison est située en face de l'école. "On mettait les enfants en péril ? Mon Dieu ! Ah bon ? Pour moi, c'était monté en épingle. C'était exagéré", estime la retraitée.

"Il y a une omerta qui domine encore"

"On n'a jamais eu de problème avec tous les produits des vignes, ajoute Patricia dont l'habitation est mitoyenne avec l'école. Il y a des odeurs, mais ce n'est pas violent. Mon mari travaille dans un château et franchement, il n'y a pas de pression, on ne nous demande pas de dire ceci et cela", assure-t-elle avant d'ajouter, "ici, les châteaux, ce sont ceux qui nous font vivre."

"Il y a une omerta qui domine encore", explique Sylvie Nony, vice-présidente de Alerte Pesticides Haute-Gironde, association fondée à la suite de l'affaire de Villeneuve. "À l'époque comme aujourd'hui, beaucoup de parents d'enfants scolarisés dans cette école sont salariés du vignoble environnant." Aucune plainte n'a d'ailleurs été déposée par ces familles à l'époque des faits. "On a conseillé à certains de la fermer", assure l'ancienne professeure agrégée en sciences physiques qui enseignait en 2014 au lycée de Blaye.

"C'est finalement un mal pour un bien"

Pour le président du syndicat des Côtes de Bourg, l'affaire de Villeneuve a permis "de mettre ce sujet des pesticides sur la table et de prendre conscience qu'il y a des choses qui étaient faites par le passé et qui aujourd'hui ne doivent plus perdurer". Lui-même viticulteur, David Arnaud estime que "ça a été un peu violent pour tout le monde, la population, les vignerons, mais c'est un électrochoc qui, à mon avis, était nécessaire pour que chacun puisse revoir un petit peu ses pratiques et les adapter."

L'école de Villeneuve-de-Blaye photographiée quelques jours après l'intoxication des enfants par des pesticides.
L'école de Villeneuve-de-Blaye photographiée quelques jours après l'intoxication des enfants par des pesticides. © Radio France - Jules Brelaz

"On ne peut absolument pas nier que les institutions viticoles, les organismes de gestion, les viticulteurs, la préfecture, les pouvoirs publics, tout le monde a été bouleversé, choqué et très, très ennuyé par ce qui s'est passé, poursuit Sylvie Nony, la numéro deux de Alerte Pesticides Haute-Gironde. Grand merci aux journalistes qui ont fait ce travail d'alerte et une fois que ça sort, ça a effectivement parcouru toute l'Europe."

"En Haute-Gironde, plus de la moitié de la population vit à moins de 50m des vignes"

Juste après l'intoxication des élèves de Villeneuve, la ministre de l'Environnement de l'époque, Ségolène Royal décrète une distance d'épandage de 200 mètres entre les écoles et les parcelles traitées. "Mais dès le mois de juillet, la mesure est enterrée sous la pression", indique Sylvie Nony. En 2016, le préfet de la Gironde prend un arrêté pour réglementer les pulvérisations phytosanitaires pendant les ouvertures d'écoles. À la suite de l'affaire de Villenave, la DRAAF (Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) a également diligenté une enquête sur le nombre d'écoles, de crèches et d'hôpitaux se trouvant à moins de 50m des vignes.

"Petit à petit, on a vu des arrêtés définissant des distances de non-traitement mais ces distances sont archi-minimales et sont de plus soumises à dérogation", regrette la vice-présidente d'Alerte Pesticides Haute-Gironde. Le président du syndicat des Côtes de Bourg reconnaît que la règlementation reste complexe sur le sujet mais assure que les pratiques ont évolué. "Aujourd'hui, on voit de plus en plus de vignerons utiliser des produits bio et biocontrôlés".

"On voit en Gironde qu'il y a eu des avancées, notamment dans le taux de passage au bio. On dépasse maintenant en Gironde les 30 % de propriété en viticulture biologique", ajoute Sylvie Nony. Villeneuve a "finalement été un mal pour un bien", conclut David Arnaud, du syndicat des Côtes de Bourg.

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