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"Le système de santé va tomber cet été", juge le docteur Didier Legeais, du syndicat des médecins de l'Isère

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Grèves, fermetures de lits et manque de personnel... Le monde d'après ressemble furieusement au monde d'avant à l'hôpital. Résultat : l’été s’annonce mouvementé. Les chefs de service s’arrachent déjà les cheveux sur les plannings. Didier Legeais, du syndicat des médecins de l'Isère est notre invité.

Didier Legeais, vice-président du syndicat des médecins de l'Isère. Didier Legeais, vice-président du syndicat des médecins de l'Isère.
Didier Legeais, vice-président du syndicat des médecins de l'Isère. © Radio France - Théo Hetsch

Inquiet pour l'été, les hôpitaux réclament des mesures d'urgence exceptionnelles, notamment une obligation de garde pour les médecins libéraux et une revalorisation immédiate des gardes, astreintes et indemnités de nuit. Si la situation difficile de l'hôpital de Voiron est bien connue, "t_out le territoire de l'Isère est en grande difficulté_", s'alarme Didier Legeais, vice-président du syndicat des médecins de l'Isère.

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France Bleu Isère : Les exemples se multiplient en France d'hôpitaux qui se mettent déjà en mode dégradé. On en est où en Isère ?

Didier Legeais : En Isère, on est comme dans toute la France, il y a des très grandes difficultés pour l'organisation des soins, en particulier en permanence de nuit. Aujourd'hui, tous les services de garde, du Nord-Isère jusqu'à Grenoble et Sud-Isère sont en très grande difficulté d'avoir des plannings pleins. Il nous manque entre 30 et 60% des effectifs médicaux des médecins, mais aussi on manque des infirmières. Et cette souffrance s'étend aussi dans les blocs opératoires. Aujourd'hui, on ne peut pas reprendre nos activités chirurgicales comme avant la crise.

Et cela veut dire quoi "Mode dégradé" ? C'est notamment l'exemple de Voiron, avec des urgences qui ferment la nuit ?

Voilà. "Mode dégradé", ça veut dire qu'il y a des secteurs de garde où il n'y a plus de médecins sur le territoire et que le Samu va se retrouver en première ligne pour réguler au téléphone et pour faire le tri. On va trier ce qui est des urgences vitales, ou là, les équipes du SAMU vont aller s'occuper des urgences vitales pour qu'il n'y ait pas de décès. Et puis les autres, ils vont attendre 8h, 24h ou 36 heures avant d'être opéré, avant d'être vu par des médecins, parce que le système est en train d'exploser.

Et ça, on en parle à Voiron, mais il y a des situations similaires ailleurs ? Vous craignez que ça s'étende cet été ?

Voiron est en difficulté, le groupe hospitalier mutualiste est en difficulté, l'hôpital de Bourgoin est en difficulté... Donc on peut dire que c'est tout le territoire de l'Isère qui est impacté. Durant les nuits, il y a beaucoup de secteurs de garde où il y a plus de médecins libéraux qui ont réussi à prendre la garde. Cela veut dire que des maternités, des services d'urgence qui risquent de fermer cet été. Je l'avais déjà annoncé au mois d'octobre quand j'avais dit qu'il n'était pas prudent de rouvrir les stations de ski parce qu'il y avait des problèmes pour gérer les urgences traumatologiques. certaines personnes ont attendu huit ou dix jours pour être opérés de fractures au plateau tibial. Grâce à un travail colossal mis en place par tous les orthopédistes de l'agglomération, on a réussi à encaisser le coup. Là, aujourd'hui, on n'encaissera pas le coup, parce qu'il n'y a pas de médecins et que l'accès aux spécialistes sera presque impossible.

Comment on explique cette situation juste après une crise sanitaire qui a pointé justement le manque de moyens ? Le gouvernement a fait le Ségur. Ça n'a pas d'impact ?

Ce gouvernement n'est pas responsable de la situation. Le Ségur, effectivement, est une bonne chose. Après, ça fait 25 ans que le monde de la santé est en crise. On l'a dénoncé avec les ordonnances Juppé, la loi hôpital-patients-santé-territoire de Roselyne Bachelot, etc...

Pour faire très simple : on a deux fois plus de patients, puisque le "baby boom" de 1945 va être un "papy boom" de 2025. Et ça, on l'avait déjà dit. Ensuite, les médecins qui partent en retraite aujourd'hui, qui sont 8.500 par an, sont remplacés par des promotions de 3.500 médecins. Et puis les médecins d'aujourd'hui - à juste titre - ne veulent pas travailler plus de 45h par semaine dans un pays où tout le monde veut travailler 35. Les médecins qui partent en retraite aujourd'hui travaillaient 80h par semaine. Nos praticiens hospitaliers travaillent 48h par semaine et aujourd'hui, les jeunes médecins veulent travailler 35 ou 40h. Donc vous avez deux fois plus de patients, deux fois moins de médecins qui travaillent deux fois moins.

Alors qu'est ce qu'on fait maintenant ? La Fédération Hospitalière de France demande au gouvernement de rétablir l'obligation de garde pour les professionnels de la médecine, les médecins libéraux notamment. Vous en pensez quoi ?

Je pense qu'ils n'ont rien compris. Ça fait 30 ans qu'on nous tape dessus, 30 ans qu'on a des conditions de travail inacceptables. Ça fait 30 ans que les médecins proposent des solutions que les gouvernements successifs ont toujours refusé. Pendant la crise Covid, les soignants, médecins, infirmières sont montés en première ligne, ont trouvé des solutions pour sauver le pays. Aujourd'hui, si les ARS et le gouvernement pensent qu'en nous tapant sur la tête, en rendant la garde obligatoire, ils vont solutionner le problème, c'est possible... mais ça ne sera pas suffisant. Les conditions de travail dans les services des urgences sont inacceptables pour l'accueil des patients. Les médecins ne veulent plus travailler, les infirmières nous abandonnent, les conditions au bloc opératoire sont difficiles et aujourd'hui, nos personnels soignants, en particulier les infirmiers, gagnent entre 15 et 16 euros de l'heure, donc ils sont partis faire autre chose. Pour les retrouver, pour les faire revenir, ce sera compliqué.

Et quant à espérer former de nouveaux personnels, je rappelle qu'il faut presque cinq ans pour former une infirmière opérationnelle et qu'il faut presque quinze ans pour former des urgentistes opérationnels. Donc, on a volontairement laissé tomber le système depuis 25 ans, le système est en train de craquer. Je pense qu'il va tomber cet été et ce sera très difficile. Les Français vont se réveiller avec la gueule de bois. Le système de santé français est malade depuis 25 ans.

Dernière question : vous êtes ce matin avec un masque dans le studio. Le Covid n'est pas derrière nous ?

Le Covid est toujours là et la grippe est encore là donc je continue à porter un masque pour éviter d'être malade et éviter de transmettre aux autres. J'invite vos auditeurs à porter le masque dans les transports en commun en particulier, ou dans les espaces de restauration trop fermés. Le Covid n'a pas disparu.

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