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Coronavirus - Journal d'un médecin : "Profitons de l’après-Covid pour travailler au renouveau hospitalier"

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Le professeur Louis Bernard est infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Tours, ancien chef de clinique à Paris. Il livre à France Bleu ses pensées sur la crise sanitaire due au coronavirus, à laquelle il est confronté dans son hôpital.

Du personnel soignant au CHU de Toulouse (illustration) Du personnel soignant au CHU de Toulouse (illustration)
Du personnel soignant au CHU de Toulouse (illustration) © AFP - Matthieu Rondel / Hans Lucas

Louis Bernard est en première ligne dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus. Infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Tours, ancien chef de clinique à Paris, il livre son témoignage sur la crise sanitaire à laquelle il est confronté. Il revient sur des histoires individuelles*, réfléchit à la gestion de la crise, confie ses questionnements intimes. C'est son journal de bord, à retrouver tous les jours sur francebleu.fr.

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"Toute ressemblance avec des faits réels dans nos hôpitaux serait que pure coïncidence"

"C’est certain, le fax de notre service n’a pas été assimilé par le Covid-19.  Au fait que veut dire fac similé ? Merci Wikipédia, l’origine est latine "facere" faire et "simile" chose semblable. Une transformation de documents en impulsions électriques, une conversion d’image. Alors à l’heure de notre Ségur de la santé, l’histoire de notre fax est une chose vraiment semblable. Je vous préviens avant d’être balancé par quelques impulsions sur les réseaux pour une fake news, que toute ressemblance avec des faits réels dans nos hôpitaux serait que pure et fortuite coïncidence !  

Mon, plutôt, notre secrétariat du service est situé à cent pas du secteur d’hospitalisation où les demandes liées à la pharmacie et/ou la radiologie sont "conformes" par un envoi de fax, avec s'il vous plaît une preuve de cet envoi et de sa réception au cas où il serait plus intéressant de s’occuper du patient que d’une procédure gravée dans le marbre de l’institution suite à la 10211e commission du siècle dernier. Le fax est loin du service, le secrétariat est fermé dès 17h et le week-end mais toute ressemblance serait... pure coïncidence. Revenons sur les cinq années passées, trois courriers et sept mails du chef de service (en l’occurrence moi), rien à faire, pas moyen d’avoir deux fax. Un dans le service de soins, un dans le secrétariat. Entre l’absence de réponse pendant des mois, les inscriptions interminables dans un labyrinthe de procédures, j’ai capitulé. Des collègues peu scrupuleux ont sublimé devant mon échec rythmé par la sonorité récurrente du fax, balançant mon permanent narcissisme intolérant en espérant pour eux-mêmes un peu de valorisation de la cour royale. Fax repetita : toute ressemblance... pure coïncidence.  

Mais le Covid est arrivé. Virus miraculeux, c’est "open bar". Nouveaux interlocuteurs administratifs responsables jusqu’à lors inconnus, échangent leurs 06, sans arrière-pensées, nous collaborons efficacement grâce au Covid, il y a même m’a-t-on dit des rencontres improbables (chut...), tout va vite. Le fax : bien sûr... demain dans le service de soins, c’est évident !  

Le lendemain effectivement, un monsieur masqué a réalisé en un temps record - je le soupçonne d’avoir eu peur de l’irréductible SARS CoV-2 devant nos tenues de Martien infectiologue - un transfert d’appareil. Bizarrement l’imprimante en attente de remplacement depuis deux ans rend l’âme probablement covidée. Allô allô... "open bar again" une nouvelle imprimante arrive multifonctions, fax, scan et presque le café et météo Covid. 

Le livreur a déposé rapidement et en apnée la machine multifonctions. Bel organe à touches tactiles mais il y a toujours un mais aux belles histoires. Le "mais" est que le thermofax n’a pas de "NI". Le "NI" quoi ? : le numéro d’inventaire évidemment ! Sans ce numéro d’inventaire, NI le préposé au branchement sur secteur, NI son collègue délégué du réseau interplanétaire ne peuvent intervenir. Un des externes du service me questionne : "Euh... au fait... prof, je vous aime bien. Euh... mais vous faîtes un drôle de métier". Et d'ajouter sans aucune réserve : "non ?". Effectivement mon boulot à ce moment précis ne semble pas des plus attractifs, heureusement il m’aime bien cet externe, j’aurais pu être irrité et m’interrogeais sur son éducation, je suis quand même professeur !  

Le Graal va survenir lorsque le pseudo-responsable du réseau, en télétravail (lui mais pas forcément le réseau) va me donner une leçon mémorable pour sauver la planète et ses arbres sources du papier : "Il faut remplir la demande d’examen radiologique via le dossier informatique du patient, tout est prévu". J’y ai cru, mais rien de prévu, le logiciel est incompatible, la demande est en fait adressée par mail puis imprimée ! Il faut alors préciser le numéro d’inventaire, le fameux NI de l’imprimante de radiologie ! Retour à la case départ, rapport d’émission : erreur de fax ! Je tente de joindre notre génie des carfaxs : "RTT jusqu’à mi-juin, en cas d’urgences veuillez contacter le service concernée ou envoyer votre demande par fax". Avant de me pendre définitivement avec le câble électrique dudit fax, et de remplir préalablement une feuille d’accident de travail en trois exemplaires, je craque : "Allô Paul"... je raconte l’histoire de Mme Z : "OK tu la fais descendre à 16h". Le contact professionnel humain me semble étrangement performant, le câble se desserre soudainement de mon cou.  

"Profitons de l’après-Covid pour travailler au renouveau hospitalier"

Je parle de tout cela à la cadre du service (la grand cheffe des infirmières ou cadre de proximité ex surveillante) : il faut faire un qualiweb ou beaucoup mieux la fameuse DORIE inhospitalière (Demande-Ordonnancement-Rapport-Inventaire-Evénement), un formulaire en live qui fait rêver jour et nuit des millions de soignants.  

Nous nous approchons du chirurgien Dory pourtant accrédité par la certification 15-32-2019 HAS de Némo, heureusement amnésique sinon il fuirait immédiatement dans le privé.  

Je vous rassure notre fabuleuse machine est inactive et non reliée depuis un mois, bien sage dans un coin du secrétariat, j’attends impatiemment les directives. Ceci illustre que le problème n’est pas uniquement lié aux moyens mais principalement aux procédures renforçant l’inertie de certains fonctionnaires, bien passifs et heureux que surtout : rien ne change.  

Cette semaine du Ségur de la santé, je vous raconterai d’autres histoires, le GHT, l’ARS, les pôles positions et autres diverses réjouissances perCovidiennes. A moins que mes impulsions électriques faxtuelles chatouillant de trop sensibles parties administratives nourricières de doryphores moyenâgeux m’expulsent à jamais. Toutes les poignées en or du monde ne changeront pas l’ouverture de serrures administratives vérolées par un protectionnisme délétère pour tous. Profitons de l’après-Covid, élaguons l’immobilisme et travaillons ensemble au renouveau hospitalier pour le patient."

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