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Accident mortel du TGV à Eckwersheim : tout comprendre des enjeux du procès

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Le procès de l’accident du TGV Est à Eckwersheim a lieu du 4 mars au 16 mai à Paris. Cet accident, intervenu le 14 novembre 2015, avait fait 11 morts parmi les 53 personnes à bord. C’est le seul accident mortel de TGV en France. France Bleu fait le point sur les enjeux de ce procès.

L'accident du TGV à Eckwersheim avait fait 11 morts et 42 blessés. L'accident du TGV à Eckwersheim avait fait 11 morts et 42 blessés.
L'accident du TGV à Eckwersheim avait fait 11 morts et 42 blessés. © AFP - Frédérick Florin

Un TGV gisant dans l’eau durant des heures : l’image est impressionnante et pourtant, hors de l’Alsace, elle n’est pas gravée dans les mémoires. Le 14 novembre 2015 à 15h06, un TGV d’essai déraille en Alsace, à Eckwersheim. Onze personnes meurent et 42 sont blessées, dont 21 gravement. Un TGV qui déraille et dont les rames basculent dans le canal de la Marne au Rhin, ce n’est jamais arrivé, mais l’accident est masqué par une autre actualité qui écrase tout. La veille, Paris a été frappée par des attentats, les regards sont donc braqués ailleurs.

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Le procès qui s’est ouvert ce 4 mars à Paris et qui doit durer jusqu'au 16 mai, a pour objet de rendre justice aux victimes, mais aussi de faire la lumière sur cet accident. La SNCF, ses filiales Systra et SNCF Réseau, un cadre, un pilote et le conducteur principal sont jugés pour "blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité".

Les causes principales et l’enchaînement sont identifiées. Le TGV roulait à une vitesse excessive, près de 90 km/heure au-dessus de la vitesse préconisée et le freinage a eu lieu bien trop tard. Mais les responsabilités qui ont conduit à ce moment sont plus complexes et doivent encore être identifiées.

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Une scène apocalyptique

Ce samedi après-midi, la France est encore sous le choc des attentats, quand l’impensable se produit. À 15h06, la rame d’essai du TGV Est déraille, à une vingtaine de kilomètres au nord de Strasbourg, tout près d’Eckwersheim. Elle tombe plusieurs mètres en contrebas, dans le canal de la Marne au Rhin. À bord du train, il y a 53 personnes. Raphaël Ebersold, qui habite juste à côté, a quasiment vu l’accident en direct, avec son frère, alors qu’ils étaient en voiture : "On entendait le bruit du train. On l’a vu qui roulait à toute vitesse, et tout à coup une grosse explosion avec un champignon de fumée au-dessus".

Il décrit une scène apocalyptique et un chaos inouï. Le train tombé dans le canal et les passagers qui crient : "C’était horrible". Avec ses deux amis, ils vont tenter de sortir les victimes, mais ils ne peuvent intervenir que d’un côté du canal.

"Il y avait des wagons qui étaient éparpillés sur les prés, la motrice avant était presque à la verticale, à fond et l'arrière qui n'avait plus assez d'élan est tombé dans le canal, plié en deux", décrit l'ancien maire d'Eckwersheim, Robert Pfrimmer. Lui aussi est un des premiers témoins arrivé sur les lieux.

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L'intervention des secours suite à l'accident de TGV d'Eckwersheim en Alsace
L'intervention des secours suite à l'accident de TGV d'Eckwersheim en Alsace © Maxppp - Jean-Marc Loos

L'unique accident mortel de TGV

Moins de 24h après les attentats des terrasses et du Bataclan, on s’interroge sur la nature de l’événement. Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, confirme qu’il s’agit d’un accident ferroviaire :  "On a cru dans un premier temps qu’il s’agissait d’une explosion, et en fait non, c’est le bruit de l’impact, du choc et de la dislocation du train qui a fait ce bruit métallique extrêmement fort et qui a pu laisser penser au départ à une explosion alors qu’il s’agit d’un accident ferroviaire".

Le bilan des victimes est terrible. Sur les 53 personnes présentes dans le TGV, 11 personnes sont mortes, et les 42 autres passagers sont blessés, dont 21 gravement. Parmi les victimes, quatre agents de la SNCF dont le directeur du projet de ligne à grande vitesse Est, cinq experts de l'entreprise d'ingénierie qui dirigeait les essais et deux accompagnants.

Le PDG de la SNCF, Guillaume Pépy, arrivé sur les lieux après le drame, parle d’un choc. Le TGV, fleuron de la SNCF, dont la sûreté est vantée partout, voit son image écornée. Jamais un accident mortel n’a eu lieu dans un TGV. C’est aussi la première fois que l’ensemble des rames déraillent. Évidemment, jamais aucun TGV ne s’est retrouvé plongé dans un canal suite à un accident.

La rame d'essais de la LGV Est européenne sortie de l'eau à Eckwersheim
La rame d'essais de la LGV Est européenne sortie de l'eau à Eckwersheim © Maxppp - Jean-Marc Loos

Une vitesse excessive, cause principale de l'accident

Le rapport du Bureau Enquête Accident va mettre en lumière une succession d’erreurs. Mais la cause principale, c’est la vitesse excessive et le freinage tardif, qui de plus, n'est pas maintenu en continu. À l’endroit, où il a déraillé, le train roulait à 265 km/h au lieu des 176 km/h préconisés pour prendre la courbe. Il aurait fallu freiner plusieurs kilomètres avant, pour atteindre cette vitesse, ce qui n’a pas été le cas.

Le conducteur du train est marqué par ce drame. Il est l’un des trois mis en examen dans ce procès. Son avocat Philippe Sarda explique qu’il ne veut pas endosser seul la responsabilité. "À la suite d'une succession d'erreurs ou d'imprécisions ou de manques de précautions, le choix du point kilométrique de freinage, c'est-à-dire le choix du moment où le ou les freinages du TGV allait être enclenché, était mal déterminé, tardif. Par conséquent, ils sont arrivés dans cette courbe beaucoup trop vite".

Pourtant, l'indication de l'endroit précis, où il aurait fallu freiner, ne figure pas clairement dans les documents. La stratégie de freinage est mal définie. Les points de freinage étaient déterminés "à la louche" explique le conducteur. Ils sont même discutés dans la cabine une quinzaine de kilomètres avant le drame. Il n'y a d'ailleurs pas de réel briefing. C'est d'autant plus troublant que trois jours avant le drame, le 11 novembre, un autre essai a eu lieu, et le conducteur a indiqué qu'il n'avait pas freiné suffisamment tôt et qu'il s'était fait peur. Cet incident n'est mentionné nulle part.

Enfin, ces essais se font en survitesse, à savoir au-delà de 330 km/heure, ce qui selon les experts n'est pas nécessaire. Cela ne fait que rajouter du danger. Là encore, l'enquête conclut que cette survitesse, a contribué directement à l'accident. En outre, dans la rame, aucun des conducteurs (qui sont cependant expérimentés) n’a jamais participé à ces essais en survitesse.

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L'accident du TGV d'Eckwersheim
L'accident du TGV d'Eckwersheim © Visactu

De multiples approximations

Très rapidement, les questions autour de l’accident vont montrer de nombreuses autres failles
Le mécanisme qui permet un arrêt automatique en cas de survitesse a été déverrouillé. Il y a aussi un appel à l’interphone, dans la cabine, à un moment délicat qui vient perturber les opérations. Et cela alors que le nombre de personnes dans la cabine du conducteur ne contribue pas à la sérénité. Il y a sept personnes, alors que le protocole en prévoit quatre.

Il y a beaucoup trop de monde à bord de la rame pour un essai. L’accident met au jour une pratique : celle des personnes invitées lors de ces essais. Dix-neuf personnes présentes à bord de la rame d’essai n’avaient rien à y faire. Il y a même deux enfants parmi les invités.

Il y a aussi de la pression autour de ces essais. Le planning a pris du retard qu'il faut rattraper. On a donc sauté des étapes. Les experts ont conclu que cela avait contribué à l’accident.

Depuis cette catastrophe, et suite au rapport du BEA -TT, la SNCF a modifié ou clarifié certaines des procédures d'essai. Il n’y a plus d’invité dans les rames d’essai, les conducteurs sont formés à ces essais, l’interphone a disparu de la motrice avant et le TGV s’arrête automatiquement en cas de vitesse excessive.

Les familles de victimes attendent que les responsables assument

Les familles qui attendent ce procès depuis huit ans espèrent que personne ne se dérobera, et que tous les responsables de l'accident assumeront. "C'est vraiment une phase cruciale ce procès", souligne Nicolas Heury, habitant de Sarrebourg, dont le père travaillait chez Systra. Il est décédé dans l'accident. "On sait que notre père ne reviendra plus, mais on veut avancer. Que chaque entreprise, à son niveau, reconnaisse les erreurs qui ont été faites."

C'est aussi le souhait de Jacques et Christine Landais qui ont perdu leur fils de 27 ans, expert en dynamique ferroviaire pour la SNCF. "Jérémy, on y pense tout le temps", dit Jacques pudiquement à France Bleu Alsace. Comme sa femme Christine, il sait que ce procès ne ramènera pas son enfant, et donc ne pourra apaiser leur douleur. Ce qui les inquiète, comme beaucoup de familles de victimes, au-delà de la plaie que cela va raviver, c’est ce que les personnes impliquées ne reviennent pas sur leurs déclarations, et reconnaissent leur implication dans l'accident.

Huit ans après les faits, la procédure a paru une éternité pour les familles. Gérard Chemla, avocat d'une partie des proches de victimes, disait déjà au moment du renvoi : "Le deuil est interminable et il est important que les vérités soient dites et qu'elles soient dites en audience". À la veille de ce procès, il explique que les familles sont là pour obtenir des réponses, et pas pointer des individus. "Nous ne sommes pas là pour chercher des têtes au bout d’un pique. Nous sommes là pour qu’on nous rende justice, qu’on nous explique comment c’est possible".

Le procès, lui aussi, va prendre du temps : les audiences ont lieu à Paris jusqu'au 16 mai 2024.

Le lieu de l'accident du TGV d'Eckwersheim
Le lieu de l'accident du TGV d'Eckwersheim © AFP - Patrick Hertzog

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