Passer au contenu

Communauté Emmaüs de Déols : accusations de racisme et de discriminations, la direction conteste

Par

La communauté Emmaüs de Déols (Indre) est sous le feux des projecteurs après des accusations de racisme et d'agressions sexuelles publiées dans le médias Streetpress, en partie confirmées par d'anciens bénévoles. La direction conteste totalement. Un audit vient d'avoir lieu, la semaine du 11 mars.

L'entrée de la communauté Emmaüs à Déols L'entrée de la communauté Emmaüs à Déols
L'entrée de la communauté Emmaüs à Déols © Radio France - Manon Klein

Que se passe-t-il réellement au sein de la communauté Emmaüs de Déols ? Le média Streetpress fait état de racisme, ou encore d'agressions sexuelles, dans un article en date du 5 mars. Des faits graves. Plusieurs anciens membres de cette communauté - cinq anciens bénévoles, une ancienne présidente et une ancienne "compagne" accueillie sur le site pendant trois ans - témoignent auprès de France Bleu Berry.

Ce qu'ils décrivent, c'est un climat qui serait propice à ce type de discriminations, un climat de peur, selon ces anciens membres de la communauté, aujourd'hui en conflit avec la direction. Les dirigeants, eux, contestent totalement et dénoncent une possible manipulation de la part de ces anciens membres qui chercheraient selon eux à se venger.

Des discriminations en fonction de l'origine ?

Dans l'article de Streetpress, plusieurs anciens compagnons font état de discriminations et insultes racistes. Parmi eux, Owana (prénom d'emprunt) avec qui nous sommes entrés en contact également. Originaire du Cameroun, elle a fuit avec son compagnon et son fils de 2 ans les attaques du groupe terroriste Boko Haram. Ils sont arrivés en 2017 au sein de la communauté Emmaüs de Déols, où ils sont restés trois ans. Elle évoque effectivement des insultes racistes et affirme s'être déjà fait traiter de "sale singe".

Plusieurs anciens bénévoles évoquent des discriminations au sein de la communauté de Déols entre les "Africains" et les personnes d'autres origines accueillies. Mais une discrimination plus insidieuse, qui passerait plutôt par les adjoints du dirigeant et non par le dirigeant lui-même. Ainsi, les tâches les plus ingrates, le ménage, la vaisselle pour les femmes, seraient attribuées aux personnes d'origine africaine. "Les compagnons, ils vont avoir des activités du style : aller casser des meubles sans équipements de protection pour les mettre dans des bennes", affirme Bernard, un ancien bénévole. Il a quitté Emmaüs Indre après avoir constaté de gros dysfonctionnements, explique-t-il.

Les dirigeants actuels, le vice-président Jean-Paul Alliot, la secrétaire Fabienne Barbotte et la secrétaire adjointe, Brigitte Maindrault, contestent totalement ces discriminations. Selon eux, il y aurait dans la mesure du possible un roulement des tâches parmi les différents compagnons.

Au-delà de ces accusations de racisme, Owana raconte également avoir subi des attouchements : le dirigeant de la communauté aurait touché ses fesses avec son sexe dans la cuisine, et ses mains dans son bureau. Nous n'avons pas pu échanger avec le dirigeant, et n'avons donc pas sa version. Bernard, l'ancien bénévole, affirme également avoir été témoin d'une autre agression sexuelle : un compagnon qui aurait tapé violement les fesses d'une compagne. Il dit être intervenu, mais aurait été le seul, alors qu'un adjoint du directeur se trouvait là.

Une quarantaine de compagnons sont accueillis à Déols, une quinzaine au Blanc
Une quarantaine de compagnons sont accueillis à Déols, une quinzaine au Blanc © Radio France - Manon Klein

Des manquements à la sécurité au travail, selon les anciens bénévoles

Au-delà des ces faits pénalement répréhensibles, mais contestés, les différents témoignages d'anciens membres de la communauté font également état de manquements concernant le travail des compagnons. En effet, ces derniers travaillent pour la communauté et en échange ils sont nourris, logés et disposent d'un petit revenu financier. Owana et l'un des anciens bénévoles décrivent une forme de pression mise sur les compagnons pour travailler, pression dénoncée aussi dans d'autres communautés Emmaüs en France, certains allant même jusqu'à parler d'exploitation, voire d'esclavage dans les communautés du Nord. Cela ne concerne pas la communauté dans l'Indre.

En revanche, dans l'Indre, la sécurité des compagnons au travail ne serait pas toujours respectée. Marie-Noëlle Deveaux, présidente de 2019 à 2022 confirme : "Je me suis rendue compte que j'avais la responsabilité juridique de ce qui se passait dans la communauté, mais que je n'avais aucune délégation avec le responsable, et que ça créait des dysfonctionnements énormes (…) Il y avait des chauffeurs qui conduisaient sans permis, des compagnons qui n'avaient pas de chaussures de sécurité". L'ancienne présidente aurait sollicité le directeur sur le sujet, mais selon elle, en raison du fonctionnement de la communauté, elle n'avait pas de pouvoir de contrainte. En effet, le directeur dépend de l'ACE (l'association de communautés Emmaüs), une structure distincte de l'association Emmaüs dont dépendent les présidentes ou présidents, et les bénévoles. Dans les faits, cela offrirait une importante autonomie aux dirigeants et peu de pouvoir d'action pour les présidents.

Un conflit autour de la gestion d'Emmaüs dans l'Indre

C'est justement cette organisation qui est à l'origine du conflit qui a déchiré en interne la communauté Emmaüs de l'Indre. Une partie des anciens bénévoles et dirigeants a tenté de changer ce fonctionnement en 2022. Ils ont été mis à l'écart par la suite à travers une succession d'événements (l'un d'entre eux, vice-président à l'époque, a été directement visé lors d'un mouvement de grève des compagnons, il a été contraint de démissionner, en réaction 11 membres du conseil d'administration l'ont suivi, puis certains bénévoles les soutenant n'ont pas pu renouveler leurs adhésions). "Tant que j'ai bien voulu être un bénévole qui ne posait pas trop de questions, tout allait bien. Le jour où je me suis trouvé en responsabilité de vouloir porter le changement de gouvernance, tout a changé pour moi", témoigne l'ancien vice-président en question, Daniel Jarreau bénévole à l'époque du site de La Châtre.

Les bénévoles et dirigeants qui ont quitté la communauté dans l'Indre ont aujourd'hui formé un collectif, "Pour l'abbé Pierre agissons". Ils veulent se battre pour les compagnons, affirme Sylvie Puard, bénévole entre 2009 et 2023 sur le site de Déols : "Nous, en tant que bénévoles, on a la possibilité de partir à tout moment, mais les compagnons, eux, sont obligés de rester. Ils sont souvent sans papiers, ils ne connaissent pas tous le français, ils sont obligés de rester à la communauté, et eux, il n'y a personne pour les protéger", déplore l'ancienne bénévole.

La direction conteste

L'équipe dirigeante actuelle conteste les accusations de racisme et d'agressions sexuelles portées à son encontre. Nous n'avons pas pu échanger avec le dirigeant qui fait partie des mis en cause, mais le vice-président, Jean-Paul Alliot, assure que tout est faux : "Depuis 17 ans que je suis à la communauté Emmaüs de Déols, je n'ai jamais entendu parler de ces problèmes-là (...) À mon avis, les personnes qui relatent ces faits sont des anciennes compagnes ou compagnons qui ont quitté la communauté de Déols, ce sont des personnes qui sont en état quand même de fragilité, et on les a manipulés de façon à leur tirer des renseignements qui étaient complétement faux". Une vengeance des anciens bénévoles et dirigeants écartés ? C'est ce que laissent entendre le vice-président Jean-Paul Alliot, la secrétaire Fabienne Barbotte et la secrétaire adjointe, Brigitte Maindrault. "Si c'était vrai, vous croyez qu'on serait encore là ?", ajoutent-ils, affirmant avoir reçu des lettres de soutiens d'anciens compagnons suite à la révélation de ces accusations.

Les dirigeants actuels d'Emmaüs dans l'Indre contestent les accusations
Les dirigeants actuels d'Emmaüs dans l'Indre contestent les accusations © Radio France - Manon Klein

Emmaüs France a été sollicité par le collectif de dissidents afin d'intervenir. L'ancienne compagne, Owana, formule aujourd'hui le même vœu. Contacté à plusieurs reprises par nos soins, l'organisme indique simplement dans un SMS : "Nous considérons les accusations dont la communauté de Déols et son responsable font l'objet avec la plus grande attention, et reviendrons vers vous dès que nous aurons plus d'éléments à communiquer". Un audit a été mené pour identifier d'éventuels dysfonctionnements sur le site de Déols au cours de la semaine du 11 mars. À notre connaissance, cet audit a été décidé en amont de l'article de Streetpress, mais il permettra peut-être d'en savoir plus sur ce qu'il se passe réellement au sein de la structure. Les conclusions sont attendues prochainement.

Le collectif "Pour l'Abbé Pierre Agissons" assure que des procédures sont également engagées au niveau judiciaire par d'anciens compagnons. Nous n'en avons pas confirmation. La procureur de la République de Châteauroux, Agnès Auboin, affirme : "Je n'ai aucun élément en ma possession concernant les plaintes que vous évoquez". Owana, l'ancienne compagne qui a accepté de témoigner à la fois pour Streetpress et France Bleu Berry, indique bien avoir porté plainte qui, selon ses dires, a été dépaysée à Paris, où elle habite désormais. Elle attend toujours d'être convoquée pour être entendue.

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

undefined