Viols aux assises : «il m’a dit que ça allait juste être un mauvais moment à passer»
Premiers échanges entre les victimes et l’accusé, un champion du monde de boxe qui répond de six viols et quatre agressions sexuelles devant la cour d’assises à Nancy. Sanglots, longs silences et traumatismes à la barre. Un procès symbolique de l'importance de la parole pour les avocats.
Les premiers témoignages sont forts, au deuxième jour du procès de l’ancien champion du monde de boxe française, Ozkan Kuyruk, accusé de viols devant les assises à Nancy. Des récits parfois crus, entrecoupés de sanglots et de longs silences pesants.
«Il m’a dit que s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait, il allait continuer à gâcher ma vie et qu’il diffuserait mes photos et que je ne pouvais rien faire contre lui car il était champion de boxe et qu’il avait plein de contacts et plein d’argent», le témoignage vient d’une jeune femme qui avait 17 ans quand le sportif de haut niveau l’a emmenée dans une chambre d’hôtel à Ludres.
Il m’a attrapée par le bras
C’est le premier témoignage dans ce procès pour six viols et quatre agressions sexuelles avec des victimes et des témoins qui défilent à la barre. Le récit, dix ans après les faits, est entrecoupé de sanglots : «Il m’a attrapée par le bras et m’a dit que ça allait juste être un mauvais moment à passer» confie la jeune femme, aujourd’hui âgée de 27 ans, avant de donner des détails d’une relation non consentie.
La présidente propose une chaise à la Vandopérienne qui tremble en détaillant le récit de cet après-midi du 19 mai 2010, quand il l’a tenue par les poignets et lui a enlevé son pantalon en menaçant d’envoyer des photos d’elle nue à son petit ami.
Photo dénudée et doutes policiers
La jeune femme avoue avoir été naïve et avoir envoyé deux ou trois photos dénudées d’elle. Des clichés envoyés au jeune sportif quand elle avait 16 ans au retour d’une soirée alcoolisée. Le boxer, qui harcelait la jeune fille mineure, a proposé de discuter une dernière fois puis l’a emmenée dans un hôtel «pour parler» sans qu’on les voit ensemble, «à cause des sponsors». Pourquoi n’avez-vous pas essayé de sortir de la chambre d’hôtel demande la présidente : «parce que j’ai bien compris que je n’avais pas le choix».
Lorsque l’élève du lycée Jacques Callot à Vandoeuvre va porter plainte avec sa mère, ça ne donnera rien : «la policière m’a dit clairement qu’elle ne me croyait pas et que j’étais jalouse de son succès». La plainte sera classée sans suite. C’est finalement après d’autres plaintes contre Ozkan Kuyruk, que ce témoignage sera versé au dossier qui a conduit le champion du monde de boxe de 2013 à être présenté devant une cour d’assises.
L’enquêtrice de la police affectée à la brigade des mineurs à Nancy estime que la version de la jeune femme n’était «pas précise» et rappelle que l’adolescente «ne s’est pas rendue à la confrontation que nous avions organisée» pendant la garde à vue avec le jeune sportif qui parlait de rapports consentis.
Entre la jeune victime et la policière : «le courant n’est pas passé» explique la fonctionnaire qui évoque le dernier coup de téléphone : «elle ne veut pas parler aux flics». Les avocats des parties civiles ont mis en doute la partialité de l’enquête et peut-être suscité les interrogations pour les jurés.
De 18H51 à 19H17
A la barre, la jeune femme parle posément et confie avoir été traumatisée : «notre corps est là, mais à l’intérieur, c’est comme si on est ailleurs», une victime qui explique son sentiment de «sidération», «de 18H51 à 19H17» précise-t-elle, «je fixais l’heure, je fixais la télévision - un jeu télévisé» et «je fermais les yeux». Un expert vient expliquer cet état de «déréalisation» autrement dit «j’ai l’impression que je n’étais pas là», face à une agression que ce soit un agression au couteau ou un viol.
La vandopérienne confie avoir fait des cauchemars de l’agression et des cauchemars du procès à venir quand elle est interrogée par un médecin. Et, «une fois que le procès sera fini, je pourrai passer à autre chose» confie l'une des deux victimes à une psychologue.
Un silence trop dur à garder
Devant les jurés, une infirmière témoigne : «elle est venue me dire qu’elle avait été violée et qu’elle n’osait pas porter plainte, elle avait peur des représailles» avec un silence devenu «trop dur à garder».
Les témoignages s’enchainent. «n_aïve, gentille, peureuse_», «e_lle l’a suivi dans l’hôtel pour discuter et pour qu’il efface les photos nues qu’il avait d’elle_ », et son amie de poursuivre : «c’était un moyen de pression pour avoir ce qu’il voulait». Certaines femmes parlent des représailles, «c_’était compliqué de porter plainte_».
Une autre amie, qui a refusé par deux fois des avances du boxeur dans la rue, explique comment le jeune sportif l’a abordé à Vandoeuvre : «Il était insistant, mais j’avais des gens pour me défendre, donc je n’avais pas trop peur» et de poursuivre sur l’espoir français de la boxe : «Déjà au lycée, il avait embrassé de force une fille de ma classe, en seconde, il l’avait plaquée contre le mur, elle était revenue en pleurant. On l’avait dit aux surveillants de Callot mais ils ont dit, on sait, mais on ne peut rien faire» témoigne une ancienne amie d’une des victimes. L’accusé, lui, ne se souvient pas de cette nouvelle accusation spontanée qui n’est pas au dossier.
L’animateur sportif et gardien de gymnase de la ville de Vandoeuvre, en détention préventive depuis plus de quatre ans, a toujours donné une autre version durant la procédure, l’accusé a toujours parlé de rapports consentis et il réitère à l’audience : «je conteste tout ce qu’elle a dit» avance le champion du monde de boxe française de 2013 quand la présidente lui demande de s’expliquer face au premier témoignage.
C'est toujours impressionnant d'entendre pleurer des personnes
Et concernant le harcèlement décrit par les différents témoins à la barre : «je ne m’en rappelle plus». Après plus de neuf heures d’audience dans la journée, la présidente repousse finalement à ce mardi l’audition de l’accusé sur ces deux premiers témoignages, suspendus par de longs silences et parfois des sanglots qui l’accablent.
Un dossier qui a vu le nombre de plaintes augmenter depuis l'annonce de la mise en détention du boxeur en 2016 par nos confrères de l'Est Républicain.
Eléonore Dupleix, avocate du boxeur admet des témoignages intenses : «C'est toujours impressionnant d'entendre pleurer des personnes qui viennent se plaindre. Après, est-ce qu'elles pleurent parce que c'est vrai ou est-ce qu'elles pleurent parce qu'elles sont mal à l'aise d’éventuellement raconter des choses qui ne sont pas vraies ? C'est toute la question.
Maintenant, il y a énormément d'imprécisions et d'incohérences et vous verrez que l'enquête, malheureusement sur beaucoup de points, n'a pas pu être faite à charge et à décharge.»
Toute puissance et impunité
Du côté des parties civiles, Stéphane Massé, évoque un procès singulier : «Ce qui est hors normes, c'est déjà la personnalité de l'accusé, son statut social entre guillemets, et le nombre de victimes. On le sent dans ce qu'il a pu dire brièvement il reste dans la toute puissance et dans l'impunité. Parce qu'effectivement, rien ne s'est mal passé pour lui au départ et pourquoi ne pas continuer ? Ce qui explique l'accumulation des victimes et des faits dont il est accusé aujourd'hui.
Le dossier s'est construit petit à petit parce que les premières victimes ont déposé plainte, se sont révélées et puis d'autres qui n'avaient pas osé parler parce qu'elles avaient peur, parce qu'elles étaient sous l'emprise de cet individu, ont fini par avouer ce qu'elles avaient subi, déjà à leur famille et leurs proches, et ensuite, avec la démarche d'aller déposer plainte. Les témoignages sont importants parce que les victimes ne se sont jamais concertées entre elles : elles sont isolées et ne se connaissent pas.
On a besoin d'un éclairage effectivement sur ce qui s'est passé, sur sa personnalité et sur son mode de fonctionnement et les protections dont il a bénéficié, manifestement.»
Un modus operandi de violeur que la justice a eu beaucoup de mal à appréhender
Un procès important et symbolique pour Frédéric Berna, avocat de la partie civile, «Il est extrêmement difficile pour ces jeunes femmes d'être entendues et de faire valoir leur parole. Ce dossier est hautement symbolique de ce qui, aujourd'hui, doit devenir le recueil de la parole des victimes d'agressions sexuelles et de viols.
Il y a une violence qui sort des clichés habituels : une violence par le chantage, par l'emprise, par la mise en domination. Et on voit que systématiquement, les victimes sont des personnes en situation de fragilité, soit qu'elles sont jeunes, soit qu'il a su exploiter leurs erreurs. Et on voit que son modus operandi est systématiquement le même. Il s'arrange en les baratinant pour obtenir des éléments et il va s'en servir par la suite pour les faire chanter. Ça va être le début de son parcours criminel.
C'est un modus operandi de violeur que la justice a eu beaucoup de mal à appréhender jusqu'à présent. Et je crois que les choses sont en train de changer, ce dossier en est le symbole.»
Une façon habile d'amener la victime à se dénuder et à faire des photos qui vont être l'objet d'un chantage
Alexandre Bouthier défend plusieurs victimes et estime que ce procès pour viols et agressions sexuelles révèle une façon habile d'opérer. «Il n'y a pas de trace de violence et il y a aussi une façon habile de l'accusé d'amener la victime à se dénuder et à faire des photos, à lui donner des photos qui vont être l'objet d'un chantage.
Une façon de faire répréhensible : ce sont des contraintes, un chantage à la divulgation de photos dénudées. C'est vrai qu'on voit que la méthode va s'affiner avec une montée en puissance avec ce sentiment d'impunité.»
Un procès qui va durer plus de deux semaines jusqu’au vendredi 13 novembre.
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