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Couple perdu dans le maquis corse pendant quatre jours : "On n'a jamais pensé qu'on allait mourir"

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Un couple d'habitants de Cléville, près d'Yvetot, s'est perdu pendant quatre jours dans le maquis corse après être parti pour une simple promenade. A leur retour en Normandie, ils nous racontent comment ils ont survécu.

Yves et Patricia Rosay, à leur retour de Corse. Yves et Patricia Rosay, à leur retour de Corse.
Yves et Patricia Rosay, à leur retour de Corse. © Radio France - Adrien Beria

Ils étaient portés disparus pendant quatre jours en Corse, du 24 au 28 octobre 2019. Patricia et Yves Rosay, habitants de Cléville, près d'Yvetot (Seine-Maritime), se sont perdus dans le maquis pendant une promenade. Ils ont finalement été secourus, et ont pu rentrer chez eux après deux jours à l'hôpital d'Ajaccio.

Deux jours après leur retour à la maison, France Bleu Normandie les a rencontrés. Ils reviennent sur ce périple, intervenu pendant un voyage pour fêter leurs 40 ans de mariage. Le couple l'affirme : ils ne sont pas imprudents, ils n'ont jamais souhaité partir pour une aussi longue randonnée, ils se sont tout simplement égarés. 

France Bleu Normandie : Comment vous êtes-vous perdus, ce 24 octobre ? 

Patricia Rosay : Nous étions à notre hôtel, il pleuvait. Je suis allée à la réception pour demander ce qu'on pouvait faire sur cette journée. On nous a conseillé d'aller dans des petits villages en partant de Porto-Vecchio, en montant vers Ospedale. On monte, et on décide d'aller voir une cascade sur notre promenade. On se dit "ça peut être chouette, ce sera un bon souvenir". On a pris le chemin balisé avec des petites bandes jaunes, qui nous a bien emmenés jusqu'à cette cascade, jusqu'à laquelle il fallait descendre. La remontée s'est déroulée sans soucis. C'est seulement quand on est arrivés un peu plus haut qu'on s'est trompés de chemin. Je tiens à préciser qu'il n'y avait pas de brouillard, le temps était clair. 

**Yves Rosay :  **Il y avait une patte d'oie, un embranchement, et une indication avec une marque jaune qui semblait être au milieu des deux chemins. On ne se rappelait plus du tout si on avait pris le chemin de droite ou de gauche. On a pris a gauche, on a continué d'avancer. En descendant, c'était très abrupt, on a marché deux heures et on est arrivés à une rivière. Au bord de cette rivière on s'est dit : "non ce n'est pas possible, il n'y pas de route, pas d'habitation. On va essayer de rebrousser chemin et de remonter". Et en essayant de retrouver le chemin, on s'est retrouvé dans le maquis et là, impossible de le retrouver. La nuit commençait à tomber, le brouillard commençait a descendre tranquillement. On a donc décidé de dormir là pour une nuit et de retrouver notre chemin le lendemain. 

Comme vous le racontez, dormir dans la forêt, ça semble logique... 

Patricia Rosay : On avait déjà quatre, cinq heures de marche dans les jambes. On s'est dit : "On va faire les fous, on va se faire une nuit à la belle étoile, et demain on verra". Heureusement, sur le chemin de la descente, mon mari voit un sécateur et le prend. Ça a été un outil pour couper les ronces, les branches qu'on a pu mettre au sol pour s'isoler, etc .... Cette nuit là, il a plu. Il y avait des éclairs. On a été plutôt frigorifiés. Mais non, ça peut paraître un peu invraisemblable, mais on n'a pas eu peur. On se disait "demain matin, de toute façon, on va trouver notre chemin, il va forcément y avoir une solution". Et on a quand même réussi à dormir.

Et finalement, vous restez trois nuits de plus dans le maquis !

Yves Rosay : Le lendemain, on a cherché, on était déterminés, mais impossible de retrouver le chemin. On a traversé la rivière pour trouver un accès, mais c'était très compliqué. On a donc décidé de remonter le lit de la rivière, en pensant retrouver un chemin balisé pour aller sur la route. Il fallait aller de pierre en pierre, de rocher en rocher dans la rivière. Mon épouse est tombée deux fois dans l'eau et s'est fracturée une côte

Patricia Rosay : On avait en tête qu'il fallait rester près de l'eau. On avait juste une bouteille d'eau de 50 cl. L'idée c'était de ne pas s'éloigner dans le maquis. Ne pas se blesser, ne pas se casser un membre. Toujours se protéger, se mettre à l'abri. La nuit, dans nos manteaux, on mettait des branchages pour s'isoler, pour avoir le moins froid possible. Il y avait des choses dans notre cerveau qui s'inscrivaient toutes seules "attention à ça", "il faut faire ça". Après il y a eu la question de la nourriture. On a trouvé des baies d'arbousier, mais on ne savait pas vraiment ce que c’était. On mangé les plus rouges, mais il n'y en avait pas des tas. On a trouvé une mûre, qu'on s'est partagé en deux. On a failli manger une sauterelle, mais on n'a pas pu (rires)

Comment occupiez-vous les journées ? 

Patricia Rosay : Une fois arrivés en haut de la rivière, on a rebroussé chemin, parce qu'il y avait deux énormes rochers qui bloquaient le passage. On a donc redescendu la rivière en pensant arriver quelque part. On marchait une heure et demi et on s’arrêtait un quart d'heure. Et à chaque fois qu'on s'arrêtait, je m'endormais. Comme s'il fallait que je trouve des forces pour continuer la route. On n'avait aucune notion du temps. Quand on est venu nous chercher, on croyait qu'on était dimanche, alors qu'on était lundi. Les journées n'étaient pas si longues finalement, parce qu'on n'avait qu'un objectif : sortir de là. 

Est-ce que vous avez paniqué à un moment ? 

Yves Rosay : On ne peut pas dire qu'on a vraiment paniqué. On était plus dans la vigilance, dans la gestion du temps, de l'instant présent. Quelque chose d'important qu'il faut préciser : nous sommes tous les deux chrétiens, croyants. Pendant tout ce temps, nous avons crié, on a eu des extinctions de voix a force de de crier "à l'aide" et "au secours". Personne ne répondait, mais nous avions la certitude que dieu nous entendait. Et que nous aurions une issue favorable. 

Patricia Rosay : Plusieurs fois on a pensé: "Mais est-ce qu'on va rester ici ?", "est-ce qu'on va mourir ici ?". On n'arrivait même pas à le dire tellement c'était impensable. On n'a jamais pensé qu'on allait mourir ici. Ça peut paraître inconcevable.

"J'avais pensé écrire des notes dans mon agenda pour mes enfants, mais quand j'ai commencé je me suis dit "je ne peux pas faire ça". On a toujours eu cet espoir qu'on allait sortir de là" - Patricia Rosay 

Vous avez eu une énorme "fausse joie"...  

Patricia Rosay : La veille du jour où on nous a retrouvés, un hélicoptère est passé au-dessus de nous

Yves Rosay : On entend un hélicoptère, à 300 mètres de nous. J'enlève mon gilet et je fais des grands gestes. Je vois un gendarme descendre de l'hélicoptère sur une corde. Je me dis "ils viennent nous chercher". Puis je le vois remonter le fil, et l'hélicoptère disparaître. Ça a été le choc et le désespoir. On pensait que c'était terminé, qu'il n'y avait plus d'espérance.  

Et puis le lendemain, lundi 28 octobre, on vous retrouve juste avant la tombée de la nuit...

Yves Rosay : Ce jour là, on a marché très peu. On avait dit le soir en se couchant : "Il faut absolument redescendre en bas du lit de la rivière". Mon épouse était tellement épuisée, avec une côte facturée et ses jambes blessées. On s'est arrêtés dans une crique sablée, assez confortable d'ailleurs. 

Patricia Rosay : On s'installe donc pour une autre nuit. Je m'endors, et mon mari entend comme des voix. Il essaye d'appeler, et quand on a entendu quelqu'un répondre, on s'est dit "est-ce que c'est vraiment une voix d'homme" ? Parce que l'eau, avec le bruit des pierres, c'est comme si des gens parlaient, parfois on avait l'impression qu'il y avait du monde mais il n'y avait personne. Les secours nous ont dit "ne bougez pas, on vient vous secourir". Le chemin d'où ils sont venus, que seuls connaissaient les chasseurs, était à 20 mètres derrière nous. Mais on ne l'aurait pas pris tout seul.  

L'hélicoptère vous amène alors à l'hôpital d'Ajaccio

Yves Rosay : On y reste pendant deux jours, pour essayer de retrouver des forces, s'alimenter à nouveau et être soignés.

Comment se passe le retour à la vie "normale" ? 

Yves Rosay : Il se passe tout doucement. Il y a encore de la fatigue, on a besoin de retrouver des forces. Mon épouse a été beaucoup plus touchée par cette expérience douloureuse.

Patricia Rosay : J'ai envie de rester dans mon cocon familial, entourée des miens.  Il va falloir un petit peu de temps pour passer à autre chose. 

Pour vos 50 ans de mariages, vous allez choisir quel type de destination ? 

Yves Rosay : La Corse, le maquis corse ! (rires) Non, on n'a pas encore réfléchi, laissons nous du temps. 

Patricia Rosay : Les enfants ont envie de nous "pucer", de nous baliser, je pense qu'ils vont nous pister tout le temps. Il va falloir qu'on reprenne les rênes de la famille (rires). 

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