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Huit mois après la reprise d'Alpine Aluminium à Annecy, 25 salariés discrètement licenciés pour faute grave

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"On nous a poussés vers la sortie, avec un licenciement pour faute grave contre une somme qu'on ne retrouvera jamais dans notre vie". Comme Jacques, au moins la moitié des anciens salariés d'Alpine Aluminium viennent d'être ainsi remerciés par le repreneur choisi en décembre par la justice.

Depuis la reprise d'Alpine Aluminium en décembre dernier, le site industriel de Cran-Gevrier à Annecy est désert et inactif Depuis la reprise d'Alpine Aluminium en décembre dernier, le site industriel de Cran-Gevrier à Annecy est désert et inactif
Depuis la reprise d'Alpine Aluminium en décembre dernier, le site industriel de Cran-Gevrier à Annecy est désert et inactif © Radio France - Marie AMELINE

Huit mois après la décision du tribunal de commerce d'Annecy (Haute-Savoie) de céder la société Alpine Aluminium, aujourd'hui rebaptisée Alpine Industry, aux holdings Samfi Invest et Industry, il ne reste presque plus rien de l'historique usine d'aluminium des bords du Fier à Cran-Gevrier sur la commune d'Annecy.

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Au moins 25 salariés sur 49 licenciés pour faute grave 

L'usine, toujours à l'arrêt, est fermée et interdite à ses salariés. Hormis pour vider son casier, aucun n'y a  remis les pieds. Sur les 49 personnes que le repreneur, Franck Supplisson, s'était engagé à garder au mois de décembre devant le tribunal de commerce, ils ne sont plus qu'une poignée. Depuis le mois de mai, les entretiens préalables de licenciement se sont succédés, et à ce jour au moins 25 personnes ont accepté moyennant finance de partir pour faute grave. 

Résultat: sur les 49 personnes reprises en décembre, et qui étaient censées retravailler progressivement sur le site, une dizaine a conclu une rupture conventionnelle peu après la cession, un ouvrier est décédé en juin, 5 sont en arrêt maladie ou partis à la retraite, entre 25 et 30 sont licenciés. 

Au final,  ils ne seraient plus que 5 aujourd'hui à faire de la résistance, à ne pas céder à la pression au départ, ce qui contraint leur nouveau patron à continuer à les payer à rester chez eux ou à renouveler ses demandes de chômage partiel.

Une faute grave contre 12 500 euros

Parmi ces désormais ex-collaborateurs, Jacques et Bernard, dont le prénom et la voix ont été modifiés.

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" Quand le repreneur, Franck Supplisson, nous a convoqués, pour nous dire cassez-vous, poliment, mais cassez-vous, ce n'était pas une surprise. Il nous a expliqué qu'à cause de la pollution et de la radioactivité, les travaux allaient être très longs, 3 à 4 ans, et qu'il ne pouvait pas continuer à nous payer à rien faire. L'objectif pour lui était de ne plus avoir à nous payer après le 30 juin alors qu'il n'était pas sûr de pouvoir encore recourir au chômage partiel.  Alors on a convenu d'un licenciement pour faute grave. Chacun a négocié le sien. Mais à minima, c'est le versement de nos indemnités légales, plus une enveloppe de 12.500 euros équivalente à l'amende que le repreneur aurait dû payer en cas de licenciement économique avant trois ans.

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FB: Pourquoi avoir accepté ça, et pas demandé ou attendu un licenciement économique?

Parce qu'il nous a dit que si c'était un licenciement économique, les 12.500 euros iraient à la justice, et que comme il préférait nous donner cet argent à nous, c'est pour cela qu'il nous proposait cet arrangement avantageux-affirme Bernard, salarié licencié. 

Les salariés qui ont accepté cette transaction ont rédigé une lettre manuscrite (antidatée de leur propre aveu) pour dire qu'ils refusaient le transfert de leur contrat de travail d'Alpine Alu vers Alpine Industry, la société créée par Samfi Invest et Industry à l'issue du jugement du tribunal de commerce. Alpine Industry qui a également monté deux filiales, Alpine Aluminium et Alpine Steel pour gérer ses futures activités sur les huit hectares du site d'Annecy.

Copie d'une lettre de licenciement pour faute grave reçue par un salarié d'Alpine Aluminium
Copie d'une lettre de licenciement pour faute grave reçue par un salarié d'Alpine Aluminium -

Une clause de confidentialité jamais vue dans un licenciement pour faute grave

Pour s'assurer de la discrétion de cette purge, qui forcément allait faire désordre et poser question une fois connue, le patron d'Alpine Industry a brandi la menace d'une amende de 23.000 euros pour qui divulguerait cette transaction. " Je n'ai jamais vu pareille clause de confidentialité devant les prud'hommes. Ces licenciements sont à la limite de la légalité et moralement douteux" commente un spécialiste en Droit du travail interrogé sur ce dossier. D'où en partie le souci de discrétion.

Outre la discrétion, là aussi après consultation d'un professionnel, l'intérêt de la faute grave par rapport à un licenciement économique sont la rapidité et l'économie. Pas besoin de mettre la DIRECCTE, la direction du travail et de l'emploi dans la boucle de la procédure, ni le CSE, le comité social et économique de l'entreprise, et ça tombe bien puisqu'il n'y en a pas, faute d'élections du personnel depuis la reprise. Et puis tout ce temps évité en procédure, c'est autant de mois de salaires épargnés. Sans parler des plus de 300.000 euros de pénalités, que le repreneur « préfère » donner aux salariés qu'à la justice. Mais en cas de licenciement économique, il aurait versé pénalités, indemnités, préavis, et salaires, le temps de la procédure.

Copie de la clause de confidentialité jointe au licenciement pour faute grave
Copie de la clause de confidentialité jointe au licenciement pour faute grave

Radioactivité sur le site ?

Sur les travaux et la reprise de l'activité annoncée initialement dans un délai d'un an à date de la reprise, dans une interview téléphonique du 28 juin, le repreneur Franck Supplisson explique que ce sera beaucoup tard, que le chantier va durer au moins 3 ans  à cause de très mauvaises surprises, et des opérations de sécurisation qui vont s'avérer beaucoup plus longues que prévues.

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Parce que je suis _un vilain entrepreneur et pas une gentille SCOP__, l'_Autorité de Sureté Nucléaire m'enjoint d'évacuer des sources radioactives, interdites et très dangereuses pour la santé, qui sont là depuis des années sans aucune autorisation. Et la seule société  habilitée en Europe à traiter et retirer ses sources au Strontium, la société ABB, basée en Suède, ne peut pas intervenir avant plusieurs mois.

Pas d'enjeu radiologique majeur sur ce site selon l'ASN

Interrogée sur ce danger radioactif et l'injonction à y remédier, la direction régionale de l'ASN à Lyon dément. 

"Pas plus aujourd'hui qu'hier, il n'y a d'enjeu radiologique majeur sur ce site. A aucun moment nous n'avons enjoint le repreneur de retirer les sources scellées. Après la reprise, nous lui avons juste signifié par deux courriers restés sans réponse, le premier aimable, le second beaucoup moins_,_ qu'il devait, comme ses prédécesseurs, soit demander le renouvellement de l'autorisation d'exercice d'une activité nucléaire à des fins non médicales, et l'autorisation de détenir et d'utiliser des générateurs électriques de rayons X et des sources scellées, soit nous indiquer qu'il comptait cesser cette activité, et nous ferait parvenir ultérieurement les attestations de neutralisation et retrait.

Reste qu'auprès des salariés qu'il vient de licencier, Franck Supplisson a mis en avant ces pollution et radioactivité pour justifier du long retard prévisible du redémarrage de l'usine, et les inciter à aller voir ailleurs.

Un projet industriel toujours nébuleux

Annoncée pour juillet, la présentation du contenu détaillé du projet industriel d'Alpine Industry se fait attendre. Fin juin, Franck Supplisson nous a laissés entendre que dans ce projet, tout serait plus important que prévu: "50 millions d'euros d'investissements contre les 10 annoncés initialement, et 300 créations d'emplois au lieu de 100" (dont il faudra tout de même  déduire les quelques 80 postes supprimés depuis décembre dernier). 

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Pour mémoire: 

  • 2015: Alpine Aluminium est devenue une Scop (Société coopérative et participative) , les salariés ont racheté l’entreprise qui était en redressement judiciaire.
  • février 2019: dans un contexte financier déjà compliqué, un gros incendie entraîne la fermeture de l'usine durant 3 semaines;
  • juillet 2019: explosion au niveau d'un des fours; 60% de l'activité sont affectés
  • août 2019: La société est placée en redressement judiciaire
  • 8 août 2019: un ouvrier meurt écrasé par une charge lourde. Le site est fermé, les employés sont au chômage technique.
  • 17 septembre 2019: première audience devant le tribunal de commerce d'Annecy
  • 3 décembre 2019: décision du tribunal. Vente à Samfi-Invest et Industry

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