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"On n'y pense pas sinon on devient fou" : en Dordogne, des éleveurs laitiers étranglés par le prix du lait

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Les prix du lait ne permettent plus aux éleveurs de s'en sortir. Les hausses des prix du gasoil et de la nourriture font que de plus en plus d'élevages ne s'en sortent plus financièrement. Et une récente étude vient montrer que la situation en Dordogne est pire qu'ailleurs.

Florian Crum est à la tête d'une exploitation de 130 vaches laitières à Coulaures, en Dordogne. Florian Crum est à la tête d'une exploitation de 130 vaches laitières à Coulaures, en Dordogne.
Florian Crum est à la tête d'une exploitation de 130 vaches laitières à Coulaures, en Dordogne. © Radio France - Marc Bertrand

C'est un colosse, jeune, 39 ans, avec un sourire de lion. Mais quand Florian Crum pose ses grosses mains sur la table de sa cuisine, dans sa ferme sur les hauteurs de Coulaures, en Dordogne, il se cache le visage dans son coude pour réprimer un sanglot. Lui et sa femme ont repris la ferme il y a dix ans. Ils arrivaient de Haute-Vienne, où ils avaient déjà eu une première exploitation après être arrivés des Pays-Bas. Lever à cinq heures, tous les jours pour la traite, pareil le soir jusqu'à 22 heures. Et pourtant, il perd de l'argent : "Mais ça fait trois ans qu'on en perd. Il faut bien sûr qu'on fasse les courses, on a cinq enfants, donc il y a des factures qu'on ne paie pas. Il ne faut pas y penser, sinon on devient fou". 

"Il y a des factures qu'on ne paie pas"

En pleine négociations agricoles, plusieurs éleveurs laitiers du Périgord commencent à dénoncer une situation "critique". Le mot ne vient pas d'eux, mais d'une étude du cabinet d'experts comptables CER-France, qui a étudié les comptes de 800 exploitations en France. Parmi les zones étudiées, le Grand Ouest avec la Bretagne et la Normandie, le Cantal, le Saône-et-Loire, c'est la Dordogne qui s'en sort le plus mal. 43% des éleveurs de Dordogne sont dans une situation critique selon l'étude, étranglés entre des crédits à rembourser à court terme et une trésorerie insuffisante. S'ajoutent depuis quelques mois les hausses de prix, sur le gasoil, la nourriture pour les bêtes ou les plastiques.

Aux Pays-Bas, c'est 45 centimes le litre. A ce prix-là, on pourrait s'en sortir. Ce qui est encore plus incompréhensible, c'est qu'il y a une pénurie de lait au niveau européen, pourtant les prix n'augmentent pas

Le problème, c'est le prix du lait. Les industriels achètent le lait 38 centimes du litre à Florian : "Aux Pays-Bas, c'est 45 centimes le litre. A ce prix-là, on pourrait s'en sortir. Ce qui est encore plus incompréhensible, c'est qu'il y a une pénurie de lait au niveau européen, pourtant les prix n'augmentent pas". Le lait, c'est périssable. Les éleveurs n'ont aucune marge de négociation, il faut que la citerne vienne chercher le lait quel qu'en soit le prix, sinon c'est la catastrophe : "On nous a toujours dit de faire des efforts. Il y a un moment, à force de serrer de toutes parts, on ne peut plus produire moins cher. J'ai deux tracteurs, je dois les changer mais je ne peux pas. Je n'aurai jamais le crédit pour les changer"

Tout part pour les vaches

Le manque, on le voit dans la cuisine de Florian. Une grande table en bois, des placards retapés à la main. Tout l'argent part pour les vaches, pour les choyer, les nourrir, les soigner. L'éleveur a essayé de s'agrandir, pour gagner plus : "On a repris cette exploitation il y a dix ans, on avait 50 vaches, aujourd'hui on en 130 vaches. On a tout emprunté, on n'avait pas d'apport. On savait que ce serait très très dur, mais on y arrivait à peu près. Aujourd'hui, on perd de l'argent. Et ça fait trois ans que ça dure. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse, que je prenne encore plus, 200, 1000 vaches, et que le consommateur me tombe dessus ? On bosse, on bosse, pendant une année on a même fait trois traites par jour, mais on ne peut pas tenir comme ça, on peut pas !"

L'épouse de Florian l'a vu s'épuiser au travail : "On vient de passer quelques années très difficiles. Je vois mon mari qui travaille beaucoup trop. Je ne sais pas si on doit continuer". "Moi je m'en fous de l'argent", reprend Florian. "Moi je suis passionné par mon métier, mais je veux juste vivre normalement. On a cinq enfants, on veut pouvoir acheter des vêtements, de la nourriture, des cadeaux à Noël. Des trucs normaux quoi !" Par la fenêtre, le colosse regarde les collines alentours. Avant il y avait six éleveurs laitiers dans le village. Ils pouvaient s'entraider. Aujourd'hui, Florian est le dernier dans la commune. Avec ses emprunts à rembourser : "Même si je voulais arrêter, je ne pourrais pas. Qui voudrait reprendre une exploitation laitière aujourd'hui ?"

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