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PORTRAIT - La boxeuse iranienne Sadaf Khadem reconstruit sa vie à Royan

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Sadaf Khadem est la première boxeuse iranienne à avoir participé à un combat officiel, le 13 avril dernier à Royan (Charente-Maritime). Un mandat d'arrêt a été lancé contre elle en Iran pour avoir combattu t-shirt et en short. Depuis, elle reconstruit sa vie en Charente-Maritime

Sadaf Khadem, première boxeuse iranienne à participer à un combat officiel (Royan, Charente-Maritime)
Sadaf Khadem, première boxeuse iranienne à participer à un combat officiel (Royan, Charente-Maritime) © Radio France - Sonia Ghobri

La Royannaise d'adoption Sadaf Khadem, a remporté samedi soir à Royan (Charente-Maritime) la demi-finale du championnat régional de boxe anglaise. Elle a battu la Corrézienne Colyne Faure et vise désormais la victoire en finale le 7 décembre prochain. 

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Sadaf Khadem est menacée d'arrestation en Iran 

Une nouvelle vie que l'Iranienne était loin d'imaginer il y a encore six mois. Sadaf Khadem est venue en France en avril dernier pour disputer le premier combat de boxe officiel d'une femme iranienne, à Royan le 13 avril dernier. Une initiative du champion du monde de boxe, le poitevin Mahyar Monshipour. Il avait fait appel à Franck Weus, le président du club du ROC boxe à Royan pour organiser ce match, que la boxeuse iranienne a remporté.

Quelques jours plus tard, Sadaf Khadem s'apprêtait à rentrer en Iran accompagnée de son coach Mahyar Monshipour. Mais sur la route de l'aéroport, les deux sportifs ont appris qu'ils étaient sous le coup d'un mandat d'arrêt. Les autorités du pays lui reprochent d'avoir combattu sans le hijab, bras nus et jambes nues. Son entraîneur Mahyar Monshipour serait accusé de complicité. 

La boxeuse se construit une nouvelle vie à Royan 

Depuis la jeune femme de 24 ans vit en France. Six mois plus tard, Sadaf Khadem accepte de se livrer sur sa nouvelle vie. Le rendez-vous est donné à la brasserie O Noblarts à Royan, un lieu familier maintenant pour elle. Il appartient au fils de Franck Weus. Sadaf Khadem est entraînée par un autre de ses fils, Mickaël Weus. Dans le restaurant, nous sommes plongés dans l'univers de la boxe. Sur les murs : affiches, gants de boxe, photos de différentes compétitions.  

Et Sadaf Khadem ne souhaite pas s'exprimer sur la politique iranienne, ni sur le mandat d'arrêt à son encontre. Mahyar Monshipour venu de Poitiers pour la soutenir, lui, accepte : "quand elle l'a appris, elle a été partagée entre plusieurs sentiments. Elle avait un visa de deux semaines, elle a joué le jeu, elle comptait repartir en Iran. Mais quand c'est arrivé elle a fait 'ouais !' Elle était contente. Elle m'a dit une chose qui n'est pas très orientale, elle m'a dit 'ce n'est pas avec mes parents que je vais vivre le restant de mes jours, je les verrai pendant mes vacances il vaut mieux que je vive ma vie'. Et sa vie pour sa passion, elle est mieux à Royan qu'à Téhéran. Mais bien sûr la réaction de l'Iran est démesurée"

En avril, Sadaf Khadem s'est d'abord installée chez le champion de boxe à Poitiers. Il l'a aidée dans ses démarches administratives. Mais elle n'avait pas de club de boxe pour l'entraîner. Alors naturellement, Mahyar Monshipour s'est tourné à nouveau vers Franck Weus, le président du club de Royan. C'est ainsi qu'elle a posé sa valise en Charente-Maritime, en juillet. 

Des cours de fitness au maraîchage 

Un élan de solidarité s'est rapidement organisé autour de la jeune femme. "Elle a été hébergée pendant deux mois chez l'élu chargé du logement à Royan", raconte Mahyar Monshipour. 

"Ils me considèrent tous comme si j’étais un membre de leur famille" - Sadaf Khadem, boxeuse

Et Sadaf Khadem poursuit : "Quand je suis arrivée on m’a rendu beaucoup de services ; on m’a offert beaucoup de cadeaux ;  Franck m’a aidée à boxer dans le club ; j’ai trouvé un travail grâce à John Lassere le vice-président du club, il m'a aidée à trouver un studio aussi à Royan. Et ce n'est pas loin du travail et du club. Je ne peux pas dire que tout ce que j’ai ici en France, c’est uniquement grâce à moi. Ils me considèrent tous comme si j’étais un membre de leur famille". 

Sadaf Kadhem travaille à temps partiel dans un chantier d'insertion de maraîchage. "C’est un peu difficile parce qu’il pleut, parfois il fait très chaud. _C’est un boulot c’est normal mais il faut avoir un mental d’acier__",_ explique-t-elle. 

"Parfois on me dit que j'ai tout perdu. Je l’accepte ça parce que j’adore ce que je fais et je persuadée au fond de moi que je serai championne." - Sadaf Khadem, boxeuse

Il faut dire que cela contraste avec sa vie en Iran. La jeune femme vient d'une famille aisée. _"__Là-bas j'ai deux appartements, une vie de luxe. Je ne manquais de rien, ici c'est un peu plus difficile._ Parfois on me dit que j'ai tout perdu. Mais ce n’est pas important pour moi. Je l’accepte parce que j’adore ce que je fais et je persuadée au fond de moi que je serai championne"

Sadaf prend également des cours de Français au centre social. Elle aimerait reprendre son métier. En Iran, elle était professeure de fitness : "il faut d'abord que je parle bien français mais après ça j'aimerais ouvrir mon club de fitness, de yoga. Ici à Royan, il y a beaucoup de personnes âgées et j'aimerais bien les aider à rester en bonne santé".

Sadaf Khadem est très entourée 

La sportive souhaite donc aller de l'avant même si évidemment cela implique des sacrifices comme vivre loin de ses proches : "c’est difficile mais je discute avec mes parents, ils vont bien. _Ils me manquent mais maintenant je peux complètement me concentrer sur mon objectif : la boxe__"_. 

"Elle a des moments de blues c'est normal." - Sadaf Khadem, boxeuse

Et la boxeuse a le sentiment d'avoir trouvé une nouvelle famille en France, au sein du club. A commencer par Franck Weus, qu'elle considère comme son "papa Français". Et il veille sur elle : " bien sûr, parfois il faut la réconforter, elle a des moments de blues c'est normal. Elle ne veut pas le dire, elle ne veut pas se plaindre mais imaginez une petite iranienne loin de chez elle à Royan, loin de sa famille, seule dans un studio ..."

Peu de place aux loisirs

Sadaf Khadem s'organise quelques petites soirées avec d'autres boxeuses du club, mais jamais jusqu'au bout de la nuit. Elle accorde peu de place aux loisirs dans sa vie :" " Royan est une superbe ville, il y a la mer, de bons restaurants mais je n'ai pas le temps pour y aller, ni au cinéma. Je vais à l'entraînement, au travail ... et c'est tout", sourit-elle. 

"Elle manque encore de technique mais elle a du courage" - Sadaf Khadem, boxeuse

L'athlète s'entraîne tous les jours, sauf le dimanche. Elle alterne entre footings au bord de la mer et le ring de boxe. La boxeuse à perdu quatre kilos en deux semaines pour la demi-finale du championnat régional samedi soir. "Elle manque encore de technique mais elle a du courage, elle n'a peur de rien. Rien n'est impossible pour elle", assure avec aplomb Franck Weus.  

"Quand elle a perdu contre la championne de France, elle a eu un coup de cafard pendant une semaine" - Sadaf Khadem, boxeuse

Et ses sacrifices payent : "depuis juillet j'ai eu _cinq compétitions : quatre victoires et une défaite mais c'était contre la championne de France Thaïs Larché"__,_ souligne Sadaf Khadem. Mais la défaite est toujours difficile rappelle Franck Weus, " quand elle a perdu contre la championne de France, elle a eu un coup de cafard pendant une semaine".

Les Jeux Olympiques 2024 ?  

La boxeuse iranienne a des objectifs. D'abord remporter le championnat régional. "Mais après on est face à un mur, elle ne pourra pas participer aux championnats de France parce qu'elle n'est pas Française", explique le président de son club de boxe. Lorsqu'elle maîtrisera la langue Sadaf Khadem demandera la nationalité française pour justement concourir aux championnats de France. Puis son passeport iranien ne lui permet pas de participer à des compétitions internationales.

Mais son rêve : les Jeux Olympiques de 2024 en France. Pas impossible pour son ancien entraîneur Mayhar Monshipour : "si elle engrange beaucoup de combats dans les deux années qui viennent, qu'elle participe à des combats internationaux avant les JO c'est possible". Mais sous quel drapeau pourra-t-elle y participer ? "Si elle a le niveau sportif, il faut voir si le Comité International Olympique (CIO) accepte de la prendre sur la partie apatride. Cette partie m'incombe", explique le conseiller technique national du ministère des Sports. 

L'Iran ne reconnaît pas à ce jour la boxe féminine comme discipline sportive. Mais la position du pays devrait changer après les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. "L'Iran _n'aura pas le choix sous peine d'exclusion des garçons__. Puis, le CIO et la Fédération mondiale de boxe ont accepté - malheureusement mais ce n'est que mon humble avis - que les athlètes soient couvertes sur le ring. L'Iran n'aura plus d'excuses et va autoriser la boxe féminine", explique Mayhar Monshipour. Il souhaiterait que Sadaf Khadem représente son pays natal aux JO. "C'est la plus expérimentée mais je ne pense pas que l'Iran. La balle est dans leur camp. Mais il y a ce passage à la télévision, avec ce combat en tenue 'normale' c'est-à-dire en short et t-shirt. Nous verrons..."_ Sadaf Kadhem n'ambitionne pas pour le moment de devenir boxeuse professionnelle. 

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