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Ludovic Lestrelin : "Il y a beaucoup de supporters de l'OM en Normandie"

A l'occasion de la rencontre entre Granville et l'Olympique de Marseille, comptant pour les quarts de finale de la Coupe de France, entretien avec Ludovic Lestrelin, sociologue du sport et spécialiste des supporters marseillais.

"L'OM est un club très suivi, y compris en Normandie"
"L'OM est un club très suivi, y compris en Normandie" © Maxppp - Nicolas VALLAURI

Ludovic Lestrelin, vous êtes sociologue du sport, spécialiste du football et notamment des supporters marseillais. Dans un entretien sur le site de la Fédération française de football, l'entraîneur granvillais Johan Gallon déclare : "On affronte une légende du football français". Pourquoi ce club est-il une "légende" ?

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ça tient d'abord à la longue histoire que la ville de Marseille entretient avec le football. C'est un club qui a accumulé de nombreux titres et de nombreuses performances sur la scène nationale très tôt, dès les années 1920-30. Et puis c'est le seul club français à avoir remporté la Ligue des Champions en 1993. Et c'est le plus gros palmarès du foot français encore aujourd'hui (NDLR : 1 Ligue des champions, 11 titres de champion de France, 10 coupes de France, 3 coupes de la Ligue, 3 trophées des champions).

C'est un club très clivant : soit on l'aime, soit on le déteste...

C'est vrai. L'une des particularités de ce club est de se poser comme l'anti-capital, avec une rivalité très forte avec le Paris-Saint-Germain née à la fin des années 1980-début des années 1990. Au-delà de ça, l'OM, c'est un petit peu l'antithèse de tous les autres clubs français, notamment les clubs formateurs à l'image lisse et sage. C'est un club qui se plaît à se penser comme singulier, un peu comme cette ville de Marseille.

Ludovic Lestrelin, à Marseille, le foot, c'est presque une religion..

Le club a acquis une place très importante dans le quotidien et l'identité de cette ville, au tournant des années 1980-1990, lorsque Bernard Tapie a repris en main le club, même si la popularité de l'OM était déjà très forte. Il y a quelque chose qui bascule à cette époque là. Donc ça se passe avec une certaine intensité à Marseille, mais la place occupée par le football dans la société est plus forte à partir de cette époque là.

On l'a vu lors des derniers matches de l'OM à d'Ornano - ça avait créé une certaine polémique : il y a beaucoup de supporters marseillais en Normandie ?

Oui, comme dans de nombreuses régions françaises. C'est un club qui a une certaine popularité à Marseille même, et en Provence. Mais au-delà de la région proche, c'est un club qui est très suivi en France, et dans d'autres pays (parfois même jusqu'en Asie). Donc oui, il y a beaucoup de supporters de l'OM en Normandie, qui viendront au stade d'Ornano sans doute pour soutenir Marseille et pas Granville.

On arrive à quantifier ce nombre de supporters normands de l'OM ? Existe-t-il des clubs, des groupes ?

Il y  a eu un groupe de supporters très organisé dans le Sud-Manche, dans les années 1980 et au début des années 1990. Il n'a plus d'existence aujourd'hui. Le groupe le mieux organisé est à Rouen. Il fédère une centaine d'adhérents. Le phénomène global est plus difficile à quantifier, car il y a souvent des rivalités entre clubs. A l'ère d'Internet, les clubs sont pris dans une logique de concurrence marketing pour savoir qui a le plus de "j'aime" sur Facebook ou d'abonnés sur Twitter. Aujourd'hui, le Paris-Saint-Germain est très nettement au-dessus de l'OM.

Vous avez d'un côté une équipe granvillaise qui va être soutenue de manière non structurée, un soutien assez réactif, par rapport aux faits de jeu, aux occasions... Et en face, des groupes de supporters marseillais très organisés, qui ont une existence parfois longue

En ce qui concerne l'Olympique de Marseille, la particularité, c'est la structuration très fine et poussée. On doit être aux alentours d'une petite centaine de groupes disséminés à travers la France. Des groupes organisés avec des gens qui vont avoir une vie associative, collective, et qui se déplacent parfois systématiquement (comme en Coupe d'Europe récemment à Bilbao).

Il faut s'attendra à un gros contingent marseillais. Pour une équipe comme Granville, pas habituée à ces grands stades de 20000 places, ça peut être déstabilisant ?

ça peut l'être, encore que je pense que le stade va être massivement derrière les Granvillais. Donc ce sera plus des choses assez classiques : un stade nouveau, des repères nouveaux, un terrain aux dimensions qui ne sont pas les mêmes que d'habitude. Mais malgré tout, il y a une forme de pression qui peut destabiliser.

Comment fait-on pour exister face au public marseillais ?

Vous avez d'un côté une équipe granvillaise qui va être soutenue de manière non structurée, un soutien assez réactif, par rapport aux faits de jeu, aux occasions... Et en face, des groupes de supporters marseillais très organisés, qui ont une existence parfois longue. Des groupes qui ont l'habitude des stades, qui ont développé une routine, qui orchestrent le soutien. Vous avez presque des micro-entreprises du supportérisme.

D'autant que cette équipe de Marseille n'a plus que cette compétition pour sauver sa saison...

Complètement. C'est un objectif du club. C'est pas la joie autour de l'Olympique de Marseille et au stade. Les supporters sont déçus de cette saison, du jeu proposé, de l'encadrement. Il y a une forte contestation de l'actuel actionnaire, des dirigeants et de l'entraîneur actuel. Il y avait une histoire d'amour passionnelle avec Bielsa. Aujourd'hui, le club est en déficit de figure d'incarnation. Vous avez un public qui ne se reconnaît pas dans les personnages à la tête du club car il n'estime pas qu'ils incarnent l'identité et l'image de l'OM. Il y a un désamour manifeste cette années. c'est clair que la Coupe de France peut être un moyen de sauver cette saison sportivement.

Ludovic Lestrelin est l'auteur de L'autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l'Olympique de Marseille, Paris, Éditions de l'EHESS, coll. "En temps et lieux", 2010.  
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