Passer au contenu
Publicité

Nelson Mandela avait été distingué par un prix international à Bordeaux dès 1985

- Mis à jour le
Par

Nelson Mandela, qui vient de décéder à l'âge de 95 ans, avait été le 1er lauréat du prix Ludovic Trarieux en 1985. Alors en prison, c'est sa fille qui était venue recevoir ce prix décerné par les avocats bordelais. L'ancien bâtonnier Bertrand Favreau se souvient.

Zenani Dhlamini, la fille de Nelson Mandela, à Bordeaux en 1985
Zenani Dhlamini, la fille de Nelson Mandela, à Bordeaux en 1985 © Radio France

C'était en 1985. Le Barreau de Bordeaux avait décidé de lancer un prix international pour distinguer les avocats particulièrement actif dans la défense des droits de l'Homme, le prix Ludovic-Trarieux. Nelson Mandela en fut le premier lauréat. Un choix qui ne s'imposait pas forcément comme une évidence à l'époque . Un choix qui pouvait même choquer selon Bertrand Favreau, bâtonnier à ce moment-là et à l'origine du prix.

Publicité

"Pour une majorité de Français, il avait l'image d'un communiste et d'un terroriste, responsable des attentats contre les blancs. Nous avons reçu des lettre anonymes nous accusant de prôner les attentats contre les blancs dans les supermarchés de Pretoria."
— Bertrand Favreau

Dans le jury qui a décerné ce premier prix Trarieux, il y avait Jacques Chaban-Delmas, le maire de Bordeaux à l'époque, des magistrats de la Cour de cassation ou encore des journalistes comme Jean Lacouture ou Bernard Langlois.

"Nous l'avons primé pour son combat pour l'égalité des droits. Pour le combat mené en tant qu'avocat dans un cabinet d'avocats blancs où la femme de son patron blanc lui disait : Nelson, allez chercher mon shampooing !"
— Bertrand Favreau

loading

C'est Zenani Dhlamini, la fille de Nelson Mandela , qui est venue chercher à Bordeaux le prix décerné à son père alors emprisonné.

Voici la traduction du discours qu'elle a prononcé lors de la rentrée solennelle de la conférence de stage du Barreau de Bordeaux 1985 :

« Je suis profondément consciente de n'être ici cet après-midi que le porte-parole de mon père. Mon père, que vous honorez aujourd'hui, se languit en prison où il purge sa deuxième ou troisième condamnation à perpétuité . Ma mère mène une vie solitaire dans des conditions précaires d'exil. Ma soeur, qui parle le français couramment, n'a jamais pu obtenir un passeport. En ce qui concerne mon père, ses partisans n'ont jamais eu la possibilité de voter pour lui, mais des études ont montré récemment que 78% de la population noire d'Afrique du Sud le considère comme leur chef.

Ma soeur et moi-même étions encore enfants lorsque mon père est allé en prison et jusqu'à l'âge de 16 ans, ni l'une ni l'autre n'a pu le voir. Même alors, nous ne pouvions le voir que derrière une vitre . Ce n'est que depuis ces derniers 18 mois qu'il a pu nous tenir dans ses bras...

*... Mes parents remercient le peuple français de ne pas avoir cautionné la politique du Président d'Afrique du Sud mais regrettent que certaines personnes ne voient que le côté matériel des choses comme c'est le cas pour le rugby. Le symbole d'un joueur noir dans une équipe de rugby d'Afrique du Sud ne signifie pas qu'il est intégré. Au niveau national, le racisme dans le sport demeure chose courante. Les investisseurs français, attirés par des profits mirifiques, se soucient peu de moralité . Les investissements étrangers en Afrique du Sud ne font que renforcer l'apartheid. *

Le gouvernement de l'Afrique du Sud a depuis des années mené et récemment intensifié sa campagne de non-information prétendant que la situation est complexe. Qu'y a-t-il de complexe dans l'assassinat d'un homme de couleur par un policier blanc en présence d'autres policiers ?  Le délit de cet homme est qu'il se promenait dans la rue en compagnie d'une blanche. Le policier a été condamné à 30 rands...

Qu'y a-t-il de complexe lorsqu'on tire dans le dos de manifestants pour la paix. Certains n'ayant que onze ans. Qu'y a-t-il de complexe dans le fait que dans ce pays le pouvoir effectif demeure aux mains des blancs, que les nantis sont blancs et les pauvres sont noirs . Mon père, que vous honorez aujourd'hui, n'accepte pas ce prix en tant qu'individu mais en tant que représentant du peuple opprimé d'Afrique du Sud. Son peuple vous remercie, vous, amis inconnus, qui vous souciez suffisamment de l'oppression pour reconnaître et exprimer en mots et en action votre haine et dégoût de l'apartheid.

Le pouvoir de mon père est reconnu depuis des années par le gouvernement de la minorité et, au début de cette année, on lui a offert la liberté. Il a exprimé sa réponse en ces termes :

Il a d'abord dit qu'il n'était pas violent . Il a dit que ses collaborateurs et lui-même avaient écrit en 1952 au Premier ministre afin de lui demander d'organiser une conférence pour trouver une solution aux problèmes d'Afrique du Sud. Il n'y eut pas de réponse...

*... Mon père demanda au Président Botha de lui prouver qu'il était différent de ses prédécesseurs. Il conjura Botha de renoncer à la violence. Il le conjura de dire qu'il démantélerait à l'apartheid . Il le conjura d'admettre le droit à l'existence de l'organisation du peuple : The African National Congress. Il conjura Botha de libérer tous ceux qui ont été emprisonnés, bannis ou exilés en raison de leur opposition à l'apartheid. Il demanda à Botha de garantir la liberté politique de telle façon que le peuple puisse décider qui les gouvernerait. *

Mon père dit qu'il chérissait sa propre liberté, mais plus encore celle de son peuple. Il dit que trop d'hommes étaient morts depuis qu'il était emprisonné, que trop avaient souffert pour l'amour de la liberté. A leurs veuves, à leurs orphelins, leurs parents qui les pleurent, il se devait de refuser une telle liberté . Il dit qu'il n'avait pas été seul à souffrir pendant ces longues années de solitude inutiles. Il dit qu'il n'aimait pas moins la vie que son peuple, mais qu'il ne pouvait pas vendre son droit à exister pas plus que le droit de son peuple à la liberté, qu'il se considérait en prison comme le représentant du peuple de l'ANC proscrite.

Il demanda ce que signifiait la liberté qu'on lui offrait alors que l'organisation du peuple restait interdite, alors qu'on pouvait l'arrêter pour l'absence de laisser-passer, que ma mère se trouvait en exil à Brandfort. Que signifiait cette liberté lorsqu'il devait demander l'autorisation d'habiter dans une ville , lorsqu'il lui fallait un tampon sur son laisser-passer pour chercher du travail, lorsque même sa citoyenneté sud-africaine lui avait été arrachée et qu'il était considéré comme un citoyen d'un Homeland.

Il ajouta que seul un homme libre est en position de négocier, pas un prisonnier . Mon père dit qu'il ne pouvait et ne ferait rien tant que lui et le peuple sud-africain ne seraient pas libre. Sa liberté et celle de son peuple sont indissociables . Il termina en disant qu'il reviendrait.

Je tiens à remercier en mon celui et en celui de mon père le Barreau de Bordeaux.

Merci au Barreau de Bordeaux et à la France. »

loading
Publicité

undefined