Somme : 78 ans après, les objets de deux déportés remis à leurs familles à Flesselles
Des effets personnels confisqués à deux habitants de Flesselles lors de leur arrivée dans des camps de concentration allemands en 1944 ont été remis à leurs descendantes lors d'une cérémonie organisée dans la commune samedi 16 septembre.
Dans la première boîte en carton bleu, des lames de rasoirs, des papiers, une carte de tabac, une plaque portant le matricule d'un déporté. Dans l'autre, un portefeuille en cuir marron, marqué par le temps. Des objets banals en apparence, mais d'une "valeur inouïe, inestimable", pour Jeannine Philippon et Maryse Dumont. Ce samedi 16 septembre, les deux Flesselloises, âgées de 93 et 85 ans, ont récupéré les effets personnels qui avaient été confisqués à leur beau-père et à leur père lors de leur arrivée dans des camps de concentration allemands en 1944.
Un fonds de 2.500 objets de déportés en Allemagne
Une restitution permise grâce au travail mené par les Archives Arolsen, le plus grand centre de documentation au monde sur les persécutions nazies, basé dans la petite ville allemande de Bad Arolsen. 2.500 objets de détenus de camps de concentration y sont conservés. Depuis 2016, la Française Nathalie Letierce-Liebig coordonne les recherches destinées à remonter le fil de ces objets pour les rendre aux familles des déportés. C'est ainsi qu'elle est venue jusqu'à Flesselles pour remettre elle-même ces souvenirs du passé lors d'une cérémonie organisée dans la mairie. Un moment bouleversant pour Jeannine Philippon et Maryse Dumont, entourées de leurs familles.
Nathalie Letierce-Liebig présente lentement à Jeannine Philippon les objets qui appartenaient à son beau-père, Alfred Philippon. "Voyez nous avons aussi trouvé des boutons de manchette", expose-t-elle. "Ça ne m'étonne pas parce qu'il était très élégant. Enfin, d'après ce qu'on m'a dit parce que moi je ne l'ai pas connu, malheureusement", répond Jeannine. Arrêté en juin 1944 à Flesselles, Alfred Philippon a été déporté au camp de Neuengamme, au nord de l'Allemagne, où il est mort. Quelques larmes coulent sur les joues de Jeannine. Elle peine à trouver les mots. "C'est très émouvant. J'ai beau avoir 93 ans mais...", murmure-t-elle.
"Un objet qui l'a accompagné quand il partait vers l'enfer"
Quelques minutes plus tard, Maryse Dumont découvre le portefeuille de son père, Victor Pruvot, qui a survécu au camp de Buchenwald, où il avait été déporté en 1944. "Il n'y avait presque rien à l'intérieur, juste cette carte matriculaire de déporté. C'est peu de choses mais c'est vraiment émouvant de savoir que c'est un objet qui l'a accompagné au moment où il partait vers l'enfer", déclare Nathalie Letierce-Liebig. Maryse acquiesce : "C'est incroyable, je n'en reviens pas. Quand on m'a téléphoné, je n'y croyais pas. Et là j'ai encore du mal à réaliser. J'en tremble d'ailleurs un peu". La restitution de ce portefeuille ravive sa mémoire : "Je me souviens très bien d'ailleurs de son arrestation. J'avais cinq ou six ans. Nous étions couchés, les Allemands ont envahi la maison. Ils ont frappé papa et ils lui ont lié les mains dans le dos".
"Sauvegarder leur mémoire de génération en génération"
Nathalie Letierce-Liebig est elle aussi très émue de rendre à Jeannine et Maryse une partie de leurs histoires familiales. "J'espère que ces objets, ces documents contribueront à sauvegarder la mémoire de vos deux déportés de génération en génération afin qu'on oublie jamais le sacrifice qu'ils ont fait. Ça serait formidable", déclare-t-elle avant que Jeannine l'enlace pour la remercier. Habituellement, les effets personnels des déportés sont simplement envoyés par la poste ou remis aux familles qui font le déplacement en Allemagne. Mais compte tenu de l'âge de Jeannine et de Maryse, Nathalie Letierce-Liebig a tenu à se déplacer. Un "aboutissement" riche en émotions pour elle, d'autant que les recherches durent "parfois pendant des années, donc c'est vrai que quand on finit par retrouver quelqu'un, c'est un cri de joie à chaque fois !".
23 habitants de Flesselles ont été déportés pendant la Seconde guerre mondiale. Seulement six d'entre eux sont rentrés des camps. Si les Archives Arolsen n'ont récupéré que les effets personnels d'Alfred Philippon et de Victor Pruvot, ils possèdent des documents sur tous les Flessellois déportés. Des copies de ces documents ont également été remis à la mairie ce samedi 16 septembre, dans l'espoir qu'ils soient transmis aux familles.
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