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À Rouen, la communauté rwandaise toujours divisée, 30 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda

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La communauté rwandaise compte quelque 200 familles en Seine-Maritime et notamment à Rouen. Parmi elles, de nombreux Hutus et des génocidaires présumés installés dans la région à la fin des années 1990 et qui continuent d'exercer des pressions sur les Tutsis rescapés.

Isabelle, rescapée du génocide de 1994 et Chantal Mouhongerwa-Martin, membre de l'association Ibuka Isabelle, rescapée du génocide de 1994 et Chantal Mouhongerwa-Martin, membre de l'association Ibuka
Isabelle, rescapée du génocide de 1994 et Chantal Mouhongerwa-Martin, membre de l'association Ibuka © Radio France - Christine Wurtz

Isabelle est une rescapée du génocide des Tutsis au Rwanda. Elle a 46 ans et vit en France depuis 2015. En 1994, elle avait 16 ans, et vivait avec ses parents et ses cinq frères et sœurs dans le sud du pays. Sa mère, ses deux petits frères de 11 et 13 ans, son grand-père, des tantes, des oncles et des cousins ont été tués dans les premières semaines du génocide. Elle a passé trois mois à se cacher pour survivre avec ses deux sœurs de 4 et 11 ans.

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Trente ans plus tard, un léger tremblement dans sa voix trahit l'émotion qui l'étreint toujours à l'évocation de ses proches. "On vit aussi pour ceux qui sont partis", dit la jeune femme. "Je n'ai pas envie d'oublier que j'ai eu une maman très belle, très aimante, très courageuse, deux petits frères qui sont morts alors qu'ils n'avaient rien fait et un grand-père qui a été brûlé dans sa maison, je n'ai pas envie d'oublier ça." Les commémorations sont toujours un moment douloureux pour elle, mais elles lui semblent nécessaires pour ne pas oublier.

"On vit aussi pour ceux qui sont partis"

Au Rwanda, le président Paul Kagame allumera la flamme du souvenir au Mémorial à Kigali ce dimanche 7 avril, la date qui marque le début du génocide qui a fait plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994. Depuis 1999, le pays a entamé un processus de réconciliation entre Hutus et Tutsis, basé notamment sur l'éducation. "On n'avait pas le choix de toute façon" résume Chantal Mouhongerwa-Martin, franco-rwandaise et membre de l'association Ibuka ("souviens-toi" en langue kinyarwanda), "c'était la réconciliation ou le chaos".

Une réconciliation plus difficile au sein de la diaspora rwandaise à Rouen et dans sa région où se sont réfugiés de nombreux Hutus dès la fin des années 1990 qui continuent d'exercer des pressions sur les rescapés et les témoins des massacres. "Il y a des rwandais qui subissent ce harcèlement", explique Chantal Mouhongerwa-Martin. "Je connais un monsieur qui est Hutu d'ailleurs mais qui a témoigné de ce qu'il a vu et il ne s'en cache pas, mais ce monsieur est malmené par ce groupuscule." C'est le cas aussi de plusieurs rescapés qui ont témoigné contre d'anciens génocidaires présumés cachés dans la région et rattrapés par la justice grâce aux associations de victimes.

La Seine-Maritime et l'Eure ont abrité plusieurs de ces bourreaux présumés. Un prêtre rwandais, réfugié à Gisors dans l'Eure et poursuivi pour des meurtres et des viols. La justice a finalement rendu un non-lieu le concernant. Il a depuis été renvoyé à l'état laïc, après avoir reconnu la paternité d'un enfant.

Rouen, refuge de plusieurs génocidaires présumés

Trois autres rwandais ont trouvé refuge en Seine-Maritime et sont poursuivis par la justice. Claude Muhayimana, interpellé en 2014 à Canteleu, a été condamné à 14 ans de réclusion par la cour d'assises de Paris en 2021, pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité. Cet ancien employé à la voirie de la Ville de Rouen a fait appel du verdict et doit être rejugé. Il est soupçonné d'avoir servi de chauffeur aux miliciens hutus.

Charles Twagira, lui, exerçait comme médecin au CHU de Rouen en 2009, quand une plainte a été déposée contre lui par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Il est soupçonné d'avoir massacré une femme Tutsi et ses quatre enfants, alors qu'il exerçait comme directeur régional de santé au Rwanda. Mis en examen en 2014, et remis en liberté sous contrôle judiciaire en 2015, Charles Twagira vit toujours dans l'agglomération rouennaise, en attendant la clôture de l'instruction.

Plus récemment, c'est un ancien préfet et ancien député rwandais qui a été interpellé au Havre où il vivait. Il a été mis en examen en septembre 2023. Pierre Kayondo est suspecté d'avoir activement contribué à l'organisation du génocide de 1994 et d'avoir personnellement participé à des meurtres de Tutsis.

Une stèle en hommage aux victimes

Sous l'impulsion de l'association Ibuka, la Ville de Rouen a décidé d'installer une stèle en hommage aux victimes du génocide dans les jardins de l'Hôtel de Ville. Elle sera inaugurée le 13 avril 2024. Une conférence sera également organisée à 14 heures, sur le travail de mémoire et la lutte contre le négationnisme, dans la salle du conseil municipal. Une exposition des photos de Michel Bürher "Rwanda mémoire d'un génocide" sera également visible sur les grilles du jardin jusqu'au 26 avril.

Isabelle, elle, a écrit un livre sous le nom de Liza Bellah, "Rwanda 94, comme un avion qui s'écrase", publié par BoD.

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