Passer au contenu
Publicité

L'historien Olivier Wievorka au Mémorial de Caen : "le débarquement fascine par sa dramaturgie"

Par

Normandy Memory, choix d'Omaha beach pour le 80ème anniversaire du débarquement... Nous avons profité de la venue de l'historien Olivier Wievorka au Mémorial de Caen, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, pour l'interroger sur les sujets d'actualité. Il a répondu sans langue de bois.

L'historien Olivier Wievorka L'historien Olivier Wievorka
L'historien Olivier Wievorka - Bruno Klein

Son livre "Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale" (paru en aout dernier aux éditions Perrin) est un pavé d'un millier de pages qu'Olivier Wievorka est venu présenter ce mercredi 18 octobre lors d'une conférence au Mémorial de Caen. Affable, disponible, l'historien et universitaire s'est prêté au jeu des questions.

Publicité

France Bleu : Olivier Wievorka, pourquoi vous être lancé dans une telle aventure, celle de vouloir retracer l'"Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale" ?

Olivier Wievorka : L'initiative vient de mon éditeur. Mais en fait, j'en avais envie parce que je travaille sur la Seconde Guerre mondiale depuis... Je n'ose dire le nombre de décennies ! J'avais aussi envie d'avoir la peinture de la Seconde Guerre mondiale dans son ensemble. Et contrairement à ce que l'on croit, on a assez peu de synthèse sur ce thème. Il y a beaucoup, beaucoup de travaux sur la Seconde Guerre mondiale, très souvent de très bonne qualité, mais il n'y a pas de synthèse. Et donc cette volonté d'avoir un puzzle complet a été un puissant élément qui a trempé ma détermination.

FB : Pourquoi, jusqu'à présent n'y avait-il pas de synthèse ?

O.W. : Parce qu'une synthèse est très difficile à écrire. Vous devez déjà avoir une maîtrise du sujet. En histoire, on est dans une discipline cumulative et ça vient avec le temps. Je pense que c'est difficile de faire une synthèse à 30 ans, plus facile à 50 et encore plus facile à 60. C'est un premier élément. Ça demande aussi un très gros investissement en temps. J'ai mis quand même six ans à écrire ce livre alors que je ne partais quand même pas de zéro. On a un peu peur, quand on voit cet Himalaya se dresser, à l'idée de gravir cette pente.

FB : Vous avez grimpé cet Himalaya. Que se dit-on quand on arrive au bout ?

O.W. : On est heureux d'avoir terminé. Je suis vraiment très, très heureux et je peux le dire très très fier de l'accueil critique et de l'accueil public de cet ouvrage. On se dit qu'on n'a pas travaillé pour rien, qu'on apporte quelque chose à ses lecteurs et ensuite on pense à d'autres projets de documentaires ou peut-être de livres.

"Je fais attention à ce que le récit soit incarné, vivant"

FB : A qui s'adresse ce livre ?

O.W. : Très sincèrement, c'est un livre qui, je l'espère, s'adresse au grand public. Parce que j'ai vraiment fait très attention en l'écrivant à ce que cela soit un livre accessible. Ce n'est pas un livre avec du jargon, il n'y a pas de mots compliqués. Quand j'écris des documentaires, je fais attention à ce que le récit soit incarné, vivant. Dans ce livre, vous allez avoir des portraits, vous allez avoir des citations, des anecdotes qui sont bien évidemment significatives, mais qui permettent aussi au lecteur d'avoir un certain plaisir.

"Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale" est paru aux éditions Perrin
"Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale" est paru aux éditions Perrin © Radio France - Philippe Thomas

FB : Le 80ᵉ anniversaire du Débarquement approche à grands pas. Pourquoi, d'après vous, cet évènement fascine et intéresse autant ?

O.W. : De fait, vous avez entièrement raison. Le débarquement fascine. Il fascine pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il amorce la libération de la France. Et donc il y a au fond une forme de reconnaissance et de gratitude des Français par rapport à ces soldats britanniques, américains, canadiens, polonais qui ont aidé à cette libération du pays. Vous avez aussi une opération combinée gigantesque, des milliers d'avions, des milliers de bâtiments, 130 000 hommes. Mais je crois aussi que ce débarquement fascine parce qu'il a au fond une dramaturgie. Est ce que la tempête va se calmer ? Est-ce que le colonel Stagg a bien vu qu'il y avait une accalmie le 6 juin et Eisenhower va-t-il pouvoir donner son let's go ? Est ce que les Allemands vont tomber dans le piège tendu par les alliés et Fortitude et croire que ce débarquement en Normandie n'est qu'une diversion ? Et puis, est-ce que les alliés, les anglo-américains qui sont englués dans la nasse du bocage vont en sortir ? Vous avez une dramaturgie que l'on trouve pour d'autres batailles, je pense à Stalingrad, mais qui n'existe pas à Koursk. Vous avez une dramaturgie quasi-inexistante pour le débarquement en Provence. Cela devait désoler le général de Gaulle de voir que ce débarquement en Provence est un peu la Cendrillon de la mémoire nationale. Le débarquement en Provence ne fascine pas. Pourquoi ? Parce que les alliés débarquent, ça se passe bien. Hitler ordonne le retrait et les troupes anglo-américaines s'engouffrent dans la vallée du Rhône. Ajoutons également que, quand vous prenez le débarquement en Provence, vous avez Patch, de Lattre de Tassigny, des généraux tout à fait valeureux mais qui sont très loin d'égaler, en termes de couleurs, de caractère, de légende, les Patton, les Rommel, les Rundstedt, voire les Eisenhower, les Montgomery qui sont présents en Normandie. Ces fortes personnalités, attachantes ou détestables selon vos préférences personnelles, contribuent aussi à animer cette dramaturgie du débarquement et à fasciner.

Omaha Beach pour la cérémonie officielle en 2024 ? "Un choix judicieux"

FB : Un mot encore sur le 80ᵉ anniversaire du débarquement. On vient d'apprendre qu'Omaha Beach accueillera la cérémonie officielle. On a longtemps pensé que ça pourrait être dans la Manche. Bon ou mauvais choix, selon vous ?

O.W. : Pour moi, c'est un très bon choix. Je pense qu'Utah Beach aurait aussi été un bon choix, mais Omaha Beach est de toute façon un bon choix. Pourquoi ? Pour deux raisons : une raison historique, tout d'abord. C'est vraiment sur Omaha que les Américains ont rencontré les plus grandes difficultés avec un quart des pertes totales du D-Day. Les Américains ont eu énormément de difficulté à conquérir cette plage. Il y a un enjeu mémoriel à Omaha qui, me semble-t-il, est beaucoup plus fort que sur Utah, Gold ou Juno. Le second point, c'est que vous avez un site exceptionnel. Vous avez la pointe du Hoc, le cimetière américain de Colleville. Si l'on fait de ce 6 juin 1944 une entreprise mémorielle, une cérémonie dont on doit se souvenir, la photogénie d'Omaha l'emporte très nettement sur les quatre autres plages et dans ce cas, je crois que c'est un choix judicieux.

Une tribune pour dire non à "Hommage aux héros" devenu "Normandy Memory"

FB : Un dernier mot, vous aviez signé une tribune dans Le Monde en septembre 2022 contre le projet "Hommage au héros" devenu "Normandy Memory". Est-ce que vous la signeriez encore aujourd'hui ?

O.W. : Vous faites allusion à ce Disneyland du Débarquement ? Lorsque vous regardez la manière dont a été conçu et construit le Mémorial de Caen, avec une volonté politique au sens noble du terme, une volonté scientifique très forte et aucune préoccupation commerciale au départ... Ce Mémorial attire un public extrêmement nombreux. Mais il est parti sur une base scientifique, sur une base politique et sur une base mémorielle, me semble-t-il, saine. Ce que je crains, c'est que ce projet de DDay Land parte, au fond, d'une volonté commerciale, mercantile et d'autre part, d'une volonté touristique, celle d'essayer de conserver plus longtemps les touristes en leur offrant plus de frissons, plus d'émotion. De ce point de vue, que vous n'ayez pas une logique à la fois scientifique et mémorielle forte, mais des préoccupations d'abord et avant tout mercantiles, cela m'inquiète. Voilà pourquoi j'ai signé cette tribune.

FB : Et vous le feriez toujours ?

O.W. : A priori, je le ferai toujours. Si le projet est scientifiquement digne, s'il s'entoure de toutes les garanties scientifiques nécessaires, s'il réfléchit à ce qu'il veut transmettre de cette mémoire qui ne soit pas simplement une mémoire spectaculaire, une mémoire dévoyée, mais une mémoire historique suffisamment forte, parce que le débarquement est suffisamment fort pour ne pas s'embarrasser d'artifices, dans ce cas là, j'applaudis des deux mains. Je ne suis pas sûr que ce soit le chemin dans lequel on s'engage.

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

Publicité

undefined