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Présidentielle 2022 : « Les effets des réseaux sociaux sur le résultat des élections sont surestimés »

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Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans la campagne électorale ? Une chercheuse en science politique de l’Université de Lorraine décortique les campagnes numériques des candidats à chaque élection présidentielle. Et la propagande dans votre téléphone portable ne fait pas tout. Interview.

Le militant politique n'est plus un simple colleur d'affiches. Le militant politique n'est plus un simple colleur d'affiches.
Le militant politique n'est plus un simple colleur d'affiches. © AFP - MYCHELE DANIAU / AFP

L’enseignante de l’université de Lorraine, Fabienne Greffet, est spécialiste de la campagne numérique des présidentielles. La chercheuse en science politique à Nancy a analysé l’évolution des pratiques d’une élection à l’autre et, à la veille du premier tour de l’élection la plus disputée en France, elle estime que la présence numérique – accentuée par la pandémie – accompagne l’action des militants politiques sur le terrain. Même si le passage à la télévision reste essentiel.

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Une élection 2022 avec beaucoup d’indécis : la présence numérique des militants, localement, peut-elle convaincre les électeurs comme pour les élections municipales ou régionales ?

Les enquêtes d'opinion nous montrent plutôt que, par rapport à d'autres élections présidentielles, cette élection en 2022 semble moins mobilisatrice et beaucoup plus de personnes ne savent pas pour qui voter ou bien prévoient de s'abstenir. On craint une forte abstention après deux ans de crise sanitaire.
 

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Par ailleurs, est-ce qu'il y a plus de militantisme ? En fait, ce n'est pas tout à fait le même militantisme parce que le militantisme pour l'élection présidentielle est plus déterritorialisé, plus personnalisé. Il s'agit de s'engager pour un candidat plutôt que pour une liste et donc, ce n'est pas tout à fait la même campagne. 

On a un peu de recul sur ces élections présidentielles et sur les campagnes numériques. Est-ce qu'aujourd'hui, on peut dire que c'est un gadget ou un effet réel ? 

On ne peut plus parler de gadget aujourd'hui puisqu'en fait, une grande partie des moyens humains des équipes de campagne présidentielle est destinée à faire campagne sur Internet et sur les réseaux sociaux. Déjà, il faut bien avoir en tête que plusieurs candidats se présentent à partir de plateformes numériques. On peut penser à Emmanuel Macron dès 2016, Jean-Luc Mélenchon dès 2016 et c'est le cas pour Éric Zemmour, par exemple, cette année. Et puis, par ailleurs, il faut bien penser que la plupart des personnes qui travaillent dans les équipes de campagne sont là pour produire des contenus pour permettre de promouvoir le candidat sur le web ou les réseaux sociaux et sont là pour mobiliser des militants qui vont diffuser tous ces messages. 

Beaucoup d'énergie mise par les équipes sur les campagnes numériques.

Et puis, ils sont éventuellement là aussi pour faire de la riposte par rapport à d'autres candidats. Donc, je pense qu'en fait, on peut plutôt parler d'une complémentarité entre la présence dans les médias traditionnels presse, radio, télé et puis la présence sur le web et les réseaux sociaux, mais je pense que ce n'est plus possible de dire aujourd'hui que c'est un gadget. 

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Après, est ce que ça a des effets en termes électoraux ? Est-ce qu'on peut voir des effets de mobilisation des personnes qui, par exemple, viendraient à un candidat du fait de sa présence sur le Web et les réseaux sociaux ? Ce n'est pas vraiment possible de le déterminer dans la mesure où ils sont tous présents un peu partout. Mais par contre, il y a beaucoup d'énergie mise par les équipes de campagne sur les campagnes numériques. 

Vous parlez de riposte. C'est important de réagir vite et faut-il des militants nombreux pour répondre très rapidement ?

Oui, et la France est un cas particulier en Europe, mais aussi par rapport à d'autres démocraties occidentales comme les Etats-Unis. La France est un pays où on ne peut pas faire de publicité sponsorisée sur les réseaux sociaux. Il n'est pas possible, six mois avant l'élection légalement, d'envoyer des messages en ayant payé le réseau social pour qu'ils montrent des messages à certaines catégories de population. Devant cette situation, qui est différente en matière politique par rapport à la publicité commerciale, les candidats doivent obligatoirement constituer des réseaux sur Internet pour pouvoir justement diffuser en grande quantité leurs leurs messages.

Autre nouveauté de ces campagnes avec le numérique, les militants n’ont plus besoin de se réunir physiquement dans des salles pour débattre, pour agir, c'est un vrai changement ?

Aujourd'hui, oui, c'est un gros changement dans les pratiques militantes car effectivement, les militants ne sont plus seulement sur les marchés ou à faire du porte-à-porte. Une grande partie de l'activité consiste à, justement, relayer des contenus, à interagir avec d'autres personnes, à pouvoir éventuellement constituer des groupes de soutien. Il y a des mouvements sociaux comme les gilets jaunes, qui ont bien montré à quel point les groupes de soutien sur Facebook peuvent être des endroits de mobilisation. Et donc, c'est toute une partie de l'activité militante, ce n’est pas un grand nombre, mais il existe des personnes qui sont des militants uniquement numériques et qui ne vont pas prendre part à la vie locale de la section ou du parti, mais plutôt qui vont s'engager uniquement en ligne.

Après, ce n'est pas le cas général parce que d'un point de vue statistique, quand on regarde un peu les activités militantes, on se rend compte que les personnes très actives en ligne sont plus souvent également des personnes très actives hors ligne. Donc, en fait, le militantisme numérique constitue une nouvelle dimension d'un militantisme qui se déploie également sur le terrain. 

En revanche, ce qu'on voit, c'est que chez les plus jeunes, le militantisme peut parfaitement n'être que numérique et constituer en quelque sorte une voie d'accès vers un militantisme de terrain. C'est un moment où l’on peut s'engager. Et on peut s'engager selon des modalités diverses, qui permettent peut-être de donner du temps le soir, le week-end, de ne pas forcément faire connaître son militantisme à ses proches ou à sa famille. Et pour certains militants, c'est important et ça permet des formes de socialisation politique, de familiarisation avec le militantisme qui sont différentes. 

On a l'impression qu'il n'y a plus de polémique et moins de débat de fond sur les réseaux sociaux et sur Internet en général. C'est un constat que vous faites également ?

Ca fait longtemps que l'on dit et ça a été bien établi par la littérature : la logique médiatique transforme profondément la politique en ceci que les médias ont fait des espaces qui vont valoriser plutôt ce qu'on peut appeler la "course de petits chevaux", avec cette question : qui arrive premier dans les sondages ? Avec les affrontements entre les candidats ou des éléments qui relèvent plutôt de l'anecdote par rapport à des discussions sur les propositions de fond. Donc, ça, c'est propre à l'écosystème informationnel dont font partie les réseaux sociaux.

Des échanges un peu rudes, caché derrière son écran.

En revanche, comme les réseaux sociaux donnent un accès direct de la part des candidats et de la part des militants, à des publics, bien souvent, par ce biais, les candidats, leurs équipes, les militants vont essayer d'influencer l'agenda médiatique pour essayer d'apporter soit des éléments d'attaque, de riposte, soit des éléments de propositions, en les faisant « monter », comme des éléments importants sur les réseaux sociaux. 

C'est vrai que ça suppose des stratégies qu'on appelle de l'astroturfing, donc un envoi très massif de messages en très peu de temps qui va induire un message qui va être très court et qui va comporter, par exemple, un mot clé en particulier que les équipes de campagne essayent de faire monter dans ce sens. En fait, ce que rend possible la diffusion, le développement des réseaux sociaux, c'est le contournement des médias et c'est la capacité à influencer l'agenda médiatique qui est en quelque sorte issu, au moins en partie, des réseaux sociaux et notamment de Twitter. 

Sur la qualité du débat lui-même, c'est très variable selon les espaces numériques mais c'est vrai que globalement, on peut dire que depuis à peu près 4 ou 5 ans, c’est ce qu’un de mes collègues, Romain Badouard, à appelé le « désenchantement d'Internet » : on assisterait à un désenchantement d'Internet, qui serait lié, bien sûr à des formes de brutalisation du débat technique, mais qui est lié aussi à la manière dont on perçoit ces espaces numériques. Ces espaces se sont massifiés, tout le monde y est, et peut être que ça laisse plus de place à des échanges un peu rudes, caché derrière son écran. 

Les réseaux sociaux peuvent faire dévisser ou grimper un candidat ? 

Pensons à l'exemple de Benjamin Griveau lors des élections municipales à Paris, qui montre que la diffusion de d'éléments de vie privée, de rumeurs, par le biais des réseaux sociaux peuvent particulièrement impacter, l'avenir du candidat. Je rappellerais aussi qu'aux Etats-Unis, Hillary Clinton, a été très fortement attaquée par Donald Trump et qu'il est possible que ces attaques récurrentes, alliées bien sûr à d'autres éléments, ont pu favoriser un basculement d'un nombre suffisant d'électeurs pour modifier le résultat de l'élection.

Emmanuel Macron a surtout bénéficié du soutien d'un certain nombre de médias traditionnels.

Ce qui est visé, ce n'est pas des gros mouvements d'opinion mais de jouer sur une frange d'indécis qui, potentiellement, peut transformer l'élection. En 2017, en France, finalement, il n'y avait pas un gros écart en nombre de voix, c’est quelques dizaines de milliers ou quelques centaines de milliers de voix, d'un candidat à l'autre entre les quatre premiers candidats.

On peut dire que bien sûr, si François Fillon était premier sur les réseaux sociaux - c’était l'effet de sa stratégie d'omniprésence sur les réseaux sociaux -  ça n'a pas modifié son sort, en quelque sorte mais ça a modifié quelque chose. C'est qu'il a utilisé l'argument d'être le premier sur les réseaux sociaux pour justifier le maintien de sa candidature. Ca a été un argument, pour lui, pour maintenir sa position dans le jeu politique pour continuer.

Emmanuel Macron, a fait campagne sans parti installé en 2017, avec un présence sur les réseaux sociaux, c’est ce qui a pu faire la différence ? 

Non, je ne pense pas qu'Emmanuel Macron était le candidat qui était le plus soutenu ou le plus actif sur les réseaux sociaux. Il a surtout bénéficié du soutien d'un certain nombre de médias traditionnels du fait qu'il avait construit tout un réseau à partir de sa position de ministre de l'Economie, et qu'il avait trouvé des donateurs importants. Et c'est vrai que s'est constituée une force qui est la plateforme et le parti qui est venu de « En Marche », qui ont aidé Emmanuel Macron.

Je laisserai de côté le cas François Fillon parce qu'il y a eu l'affaire Fillon et donc ça a quand même modifié le sort de François Fillon, mais je pense que le candidat qui a été vraiment le plus actif en 2017, c'était Jean-Luc Mélenchon, qui a constitué également une plateforme numérique et un parti, la France Insoumise.
A partir de ces communautés numériques, il est très présent sur les réseaux sociaux, depuis longtemps, et notamment avec une chaîne YouTube qui est particulièrement suivie et qui est très régulière. En 2016, il y avait un rendez-vous récurrent toutes les semaines et il a fait plusieurs fois référence à « jeuxvideo.Com », qui est un forum de discussion où ses soutiens on commencé à discuter et ça a énormément œuvré pour la campagne de Jean-Luc Mélenchon en ligne et hors ligne. 

Essayer de faire émerger un enjeu, une question ou une attaque contre un adversaire politique.

Les militants ont aussi organisé toute une campagne de démarchage téléphonique qui visait à donner de l'information par téléphone, sur la campagne, la candidature et les propositions de Jean-Luc Mélenchon. Ils ont mis en ligne le programme avec tout un travail bénévole numérique, assuré par une communauté numérique et je pense que c'est relativement unique, même s'il y a eu précédemment, en 2012 par exemple, une communauté autour du parti Europe Ecologie-Les Verts et de la candidature d'Eva Joly. 

Il y a eu toute une communauté aussi autour de la campagne de François Hollande, mais ces communautés, c'était plutôt des communautés de soutien, de diffuseurs de messages, alors que la communauté de Jean-Luc Mélenchon, elle, a vraiment apporté en termes de productions, d'idées, de supports de campagne, donc ils n'ont pas seulement fait de la diffusion de messages ou de l'argumentation en ligne. Ils ont vraiment produit un jeu vidéo, des sites Internet ou des outils vraiment de campagne qui auraient pu, dans un autre contexte, être produit par des agences de communication.

La nouveauté, c’est l’apparition des robots dans la campagne électorale ? 

Oui, les équipes de campagne ne le font pas de manière officielle - mais on peut penser que c'est plutôt des militants qui le font de manière informelle – c’est d’essayer d'automatiser l'envoi des messages, notamment sur Twitter, pour tenter de faire monter certains mots clés comme étant des préoccupations très importantes. Et l'algorithme du réseau social Twitter est fait de telle façon que lorsqu'un mot clé est diffusé de manière massive en très peu de temps, il va apparaître dans les tendances fortes du moment.
Les militants peuvent recourir à ce type de stratégie pour essayer de faire émerger un enjeu, une question ou une attaque contre un adversaire politique. Et parfois, ils utilisent des machines, des robots, qui diffusent à partir de comptes Twitter réellement créés spécialement pour l'opération avec l’envoi de messages de manière massive. Mais ce n'est pas quelque chose qui est facile à débusquer puisque la particularité des réseaux sociaux, c'est qu'on ne sait jamais combien de personnes sont derrière les comptes.

Une même personne, peut être derrière des dizaines, voire des centaines de comptes. Inversement, des comptes peuvent être justement créés par des machines.

Très probablement, les effets qu'on attribue aux réseaux sociaux en terme d'influence sur le résultat des élections sont surestimés.

On a de la difficulté à mettre en relation le nombre de personnes concernées avec ce qui se donne à voir sur les réseaux sociaux, il y a toute une part de mise en scène et donc il faut avoir en tête que l’on peut aussi être en butte à des dizaines de stratégies de recherche d'influence, sans pour autant que les groupes mobilisés représentent des centaines ou des milliers de personnes.
Et justement, un des effets recherchés ça peut-être de faire croire qu'un candidat est très soutenu ou très attaqué sur les réseaux sociaux, alors qu'en fait, l'opération est menée par un petit groupe. 

Avec beaucoup d’indécis, les réseaux sociaux peuvent-ils vraiment jouer sur cette élection dans les semaines qui viennent ?

Ça, c'est le pari que font les équipes de campagne : que les réseaux sociaux vont permettre d'entrer dans les réseaux relationnels d'un certain nombre d'électeurs et vont avoir une capacité de conviction. Après, je pense, que cette capacité de conviction est orientée vers les publics, mais elle est aussi orientée vers les médias, y compris si besoin, en recourant à des robots, donc, qui diffusent de façon simultanée des messages. Maintenant, quand on observe la cartographie des réseaux, on observe que les communautés numériques les plus actives sont idéologiquement très homogènes. Il y a finalement peu d'échanges entre les communautés. Il s'agit plus souvent d'échanger des contenus avec des personnes qui pensent comme nous puisque généralement, notre réseau relationnel est plutôt constitué de personnes qui pensent comme nous. 

Une élection présidentielle se joue encore aujourd'hui largement à la télévision et dans les dernières semaines avant l'élection.

Très probablement, les effets qu'on attribue aux réseaux sociaux en terme d'influence sur le résultat des élections sont surestimés. C'est le pari qu'on peut faire puisqu'il ne faut pas oublier que les électeurs sont immergés aussi dans des difficultés, dans des aspirations, dans un rejet des acteurs politiques avec des problèmes plus fondamentaux que la question de savoir s'ils sont présents ou pas sur les réseaux sociaux.

La crise sanitaire joue-t-elle avec moins de grands meetings, et un report sur ces réseaux sociaux là où on peut, en plus des médias, être présents et interagir ? 

Oui, ça joue, on l'a déjà vu, lors des élections municipales de 2020 où la situation était nettement plus tendue en terme de crise sanitaire et c'est vrai que les listes ont été amenées à faire, par exemple, des "lives" sur les réseaux sociaux, à avoir des réunions avec beaucoup moins de public… Par ailleurs, le meeting ou la très grosse réunion sont des opérations extrêmement coûteuses, donc, c'est vrai que pour ces deux raisons, on peut penser que la campagne se déroule peut-être davantage sur des supports numériques, y compris notamment des plateformes de vidéo et des plateformes émergentes de type Twitch ou Tik Tok, qui permettent de toucher les publics jeunes. 

Après, il ne faut pas oublier qu'une élection présidentielle se joue encore aujourd'hui largement à la télévision et qu'elle se joue aussi dans les dernières semaines avant l'élection. Particulièrement cette fois ci, où la crise sanitaire constitue un enjeu qui est très présent et qui camoufle peut être aussi d'autres enjeux politiques qui pourraient être clivants. Donc, oui, la crise sanitaire a certainement des effets en ceci qu'il y aura probablement moins de rassemblements sur le terrain, et que les réseaux sociaux sont largement investis.

On le voit avec la multiplicité des sites Internet et la diversité des réseaux sociaux sur lesquels les candidats sont présents. En même temps, il faut continuer à compter avec la télévision et la télévision reste un média qui est excessivement suivi, notamment par les catégories de population qui sont les plus susceptibles de voter et qui sont les catégories un peu plus âgées de la population. 

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