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Présidentielle : comprendre la polémique sur le cabinet McKinsey, qui fragilise la campagne d'Emmanuel Macron

- Mis à jour le
Par
  • France Bleu

La polémique enfle après la publication d'un rapport sénatorial dénonçant la "dépendance" du gouvernement et des pouvoirs publics auc cabinets de conseils privés, comme l'Américain McKinsey. Le parquet national financier a ouvert une enquête pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale".

Affiche de campagne d'Emmanuel Macron, mars 2022. Affiche de campagne d'Emmanuel Macron, mars 2022.
Affiche de campagne d'Emmanuel Macron, mars 2022. © Maxppp - Arnaud Journois

Gestion de la crise sanitaire, réforme des APL, organisation de colloques : le recours aux cabinets de conseils privés est devenu un "phénomène tentaculaire" qui coûte de plus en plus cher aux finances publiques estime la commission d'enquête du Sénat, auteure d'un rapport sur le sujet publié mi-mars. Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire le 31 mars dernier pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale" après avoir pris connaissance du rapport du Sénat.

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À quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle ces révélations fragilisent la campagne d'Emmanuel Macron, soupçonné d'avoir favorisé le cabinet américain McKinsey, accusé par les sénateurs d'optimisation fiscale. Exaspéré, le président sortant a invité "quiconque a la preuve d'une manipulation" à saisir la justice "au pénal"

Que dit le rapport du Sénat ?

Publié le 17 mars, le rapport sénatorial (PDF) est le résultat de quatre mois d'enquête. Les parlementaires y dénoncent le recours massif aux cabinets de conseil privés pour gérer les affaires de l’État, notamment sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.

Les cabinets privés sollicités sur les réformes majeures du quinquennat

"Le recours aux consultants" croissant depuis la présidence Sarkozy "constitue aujourd'hui un réflexe" et ces cabinets sont "au cœur des politiques publiques", selon les parlementaires qui évoquent une situation de véritable "dépendance". "C_'est une volonté politique, un choix du gouvernement de faire appel à des cabinets de conseil en lieu et place de l'administration",_ a déploré lors d'une conférence de presse la rapporteure de la commission Eliane Assassi, sénatrice communiste de Seine-Saint-Denis

Distribution des professions de foi électorales, gestion des radars routiers, préparation de la réforme de l’aide juridictionnelle, "optimisation de la logistique hospitalière"... "ces cabinets de conseil sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat" déplore le rapport.

Coût croissant pour les finances publiques

Or "d'après les éléments transmis par les ministères, le coût moyen d'une journée de (travail d'un) consultant s'élève à 1.528 euros TTC pour la période 2018-2020", détaille encore le document. De telle sorte qu'en 2021, les dépenses de conseil des ministères ont atteint 893,9 millions d'euros, un montant deux fois supérieur à celui dépensé au début du quinquennat d'Emmanuel Macron (379,1 millions d'euros en 2018).

"Et encore", selon Éliane Assassi, "nous n'avons qu'une estimation minimale [de l'argent dépensé] car nous n'avons interrogé qu'environ 10% d'agences de l'État"

Pourquoi le cabinet américain McKinsey fait-il la Une des journaux ?

À l'instar de Capgemini, Deloitte ou encore KPMG, McKinsey est un cabinet de conseil international américain qui compte environ 30.000 salariés. Ses consultants sont sollicités pour fournir des recommandations à des clients privés ou publics.

SelonLe Monde, McKinsey a réalisé une quarantaine des 945 missions confiées par le gouvernement à des cabinets privés entre 2018 et 2021 et recensées par le Sénat, pour un coût compris entre 28 et 50 millions d’euros, ce qui représente 1 % des dépenses de conseil de l’État sur cette période. C'est moins que Capgemini (5 %) et Eurogroup (10 %) mais le cabinet américain a été associé à certains des chantiers les plus importants du quinquennat. 

Influence politique ?

L'entreprise a notamment été sollicitée au sujet de la réforme du mode de calcul des APL. Elle a eu pour mission de réaliser un audit des systèmes informatiques, puis de conseiller les caisses d'allocations familiales pour qu'elles ajustent leurs outils au nouveau mode de calcul. Une prestation facturée 3,88 millions d'euros, qui n'a pas empêché les bugs informatiques lors de la mise en œuvre de la réforme en janvier 2021. Le cabinet a aussi épaulé l'administration sur la réforme des retraites et pendant la crise sanitaire liée au Covid-19, McKinsey aurait reçu neuf commandes des pouvoirs publics (sur la stratégie de vaccination, de tests, le pass sanitaire...) pour un montant cumulé de 12,3 millions d'euros. 

"En théorie", relèveLe Monde "les consultants n’étaient missionnés que pour fournir un appui technique à ces chantiers, pas pour en inspirer le contenu politique. Le rapport du Sénat a toutefois relevé que la ligne était parfois difficile à tracer : dans ses préconisations au gouvernement sur la reconstitution du stock stratégique des gants médicaux, McKinsey a, par exemple, clairement affiché sa préférence pour le scénario de l’arrêt ponctuel de la distribution aux établissements médico-sociaux, le temps de reconstituer le stock – ce qui n’est pas un choix neutre."

Le recours aux consultants privés est devenu "le réflexe d’un État qui donne parfois le sentiment qu’il ne sait plus faire", résument les sénateurs. Une conséquence des réductions d'effectifs selon le collectif de hauts fonctionnaires "Nos services publics", auteur, en avril 2021, d'une note dénonçant le recours accru de l’État à l’externalisation.

Efficacité contestée

L'efficacité de ces missions onéreuses peut en outre laisser à désirer pointe le rapport. Les parlementaires ont ainsi étudié 80 prestations de conseil réalisées pour différents ministères entre 2018 et 2021, ainsi que des fiches d’évaluation de ces missions. Résultat, pour plus d’un quart de l’échantillon, le travail fourni par les cabinets de conseil présente "une qualité insuffisante ou tout juste suffisante".

Certaines missions n'ont même pas eu de suites. McKinsey a notamment facturé 496.800 euros à l'Éducation nationale en 2020 en vue d'un colloque international, finalement annulé en raison de la crise du Covid-19.

Optimisation fiscale

Au manque de transparence et de traçabilité s'ajoutent enfin les accusations d'optimisation fiscale. D'après la Commission d'enquête_, "le cabinet McKinsey n'a pas payé d'impôts sur les sociétés en France depuis au moins 10 ans". Malgré un chiffre d'affaires de "329 millions d'euros sur le territoire national" en 2020, le cabinet n'aurait versé aucun impôt sur les sociétés de 2011 à 2020 selon les sénateurs, qui parlent d'"un exemple caricatural d'optimisation fiscale"._ 

Les parlementaires soupçonnent les entités françaises du cabinet d'avoir versé chaque année d'importants "prix de transfert" à leur maison mère implantée aux États-Unis, "ce qui conduit à minorer leur résultat fiscal, et par suite le montant de leur imposition". Le Sénat a annoncé avoir saisi la justice pour suspicion de faux témoignage de Karim Tadjeddine, responsable du pôle secteur public, qui avait assuré mi-janvier que le cabinet payait bien l'impôt sur les sociétés en France.

De son côté, le cabinet McKinsey a réaffirmé respecter les règles fiscales françaises, précisant qu'une de ses filiales avait payé l'impôt sur les sociétés pendant six ans, sur la période au cours de laquelle le Sénat l'accuse d'optimisation fiscale. Cependant le communiqué transmis à l'AFP le 26 mars ne précise pas le nombre d'entités exerçant en France, ni le montant de l'impôt payé ou encore les missions de la filiale concernée. McKinsey affirme également s'être acquitté de "422 millions d'euros d'impôts et de charges sociales, soit près de 20% de son chiffre d'affaires cumulé" au titre de ses salariés en France, des montants à distinguer de l'impôt sur les sociétés qui concerne les bénéfices.

Ouverture d'une enquête pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale"

Mercredi 6 avril, à quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle, le procureur national financier a annoncé qu'une enquête préliminaire avait été ouverte pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale" le 31 mars, après que le parquet national financier (PNF) a pris connaissance du rapport du Sénat. Selon les informations recueillies par franceinfo auprès du PNF, "cette enquête vise bien et uniquement la société McKinsey sur la question de son statut fiscal en France". 

Emmanuel Macron fragilisé

Une décision saluée par plusieurs candidats à la présidentielle qui ont saisi l'opportunité de critiquer la gouvernance du président sortant. "Il était temps", a notamment réagi la candidate LR Valérie Pécresse qualifiant l'affaire de "scandale". "Enfin", ont salué sur Twitter Éric Zemmour, Fabien Roussel ou encore Nicolas Dupont-Aignan.

"On a l’impression qu’il y a des combines, c’est faux. Il y a des règles de marchés publics", s'est défendu le chef de l'État,invité de l'émission "Dimanche en politique" sur France 3 le 27 mars. Et d'ajouter : "Que quiconque a la preuve qu'il y a manipulation mette le contrat en cause au pénal"

"Aucun cabinet de conseil n'a décidé d'aucune réforme et la décision revient toujours à l'État", a également soutenu la ministre de la Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin lors d'une conférence de presse le 30 mars. "Nous ne nous sommes pas dessaisis de nos responsabilités", a-t-elle affirmé, évoquant un recours à ces entreprises "répandu", "habituel" et "utile" dans la "majorité des cas". Il n'y a pas non plus d'interdépendance entre les cabinets de conseil et l'État, pour le ministre des Comptes Publics Olivier Dussopt qui a affirmé, lors de la même conférence de presse, que cela représentait "0,3% de la masse salariale totale de l'État".

Reste que de nombreux liens existent entre le président et McKinsey, comme l’avait déjà documenté une enquête du Monde en février 2021. Et ce rapport  soulève la question de l'influence des cabinets privés sur la décision publique relèvent les sénateurs, d'autant que ces entreprises véhiculent "une certaine vision de l’action publique", favorable à une réduction des dépenses et de la fiscalité.

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