Passer au contenu
Publicité

Procès du "tueur de DRH" : "jovial", "fuyant", puis "paranoïaque", la personnalité solitaire de Gabriel Fortin

- Mis à jour le
Par

Au deuxième jour du procès du "tueur de DRH" ce mercredi, à Valence, la cour d'assises de la Drôme a examiné la personnalité de Gabriel Fortin. Les auditions des différents témoins ont révélé une solitude extrême de l'accusé, entouré d'amis qui le connaissent peu ou mal.

Le président de la cour d'assis de la Drôme (au centre), Yves de Franca. Le président de la cour d'assis de la Drôme (au centre), Yves de Franca.
Le président de la cour d'assis de la Drôme (au centre), Yves de Franca. © Radio France - Valentin Pasquier

Le voile s'est, en partie, levé ce mercredi, sur la personnalité de Gabriel Fortin. Au deuxième jour du procès de celui qu'on surnomme le "tueur de DRH", ce mercredi, la cour d'assises de la Drôme a vu se dessiner le portrait d'un homme extrêmement seul, "hermétique" aux autres selon les mots d'un ancien copain. C'est de pire en pire au fur et à mesure des années. Progressivement, l'accusé a fait le vide autour de lui. Il était pourtant "sympathique, jovial" avant, estime l'un, puis il est devenu "fuyant, paranoïaque" décrit un autre. Ses proches, venus le décrire à la barre, n'ont de proches que le nom : un ancien copain qui n'a même pas son numéro de téléphone portable, ou encore son ancien instructeur de pilotage qu'il croise "par hasard" dans la rue.

Publicité

La veille, après la lecture de l'ordonnance de mise en accusation, la cour a entendu la mère de l'accusé, son frère et sa tante. L'accusé a aussi pris la parole, pour la première fois, en deux ans.

L'essentiel

  • Ce mercredi, la cour a examiné la personnalité de l'accusé et entendu les proches de Gabriel Fortin
  • Tous ces anciens copains ont raconté une relation à sens unique, qui se délite au fil du temps, sa discrétion, sa volonté de ne jamais parler de son intimité
  • La cour s'est penchée sur l'une de ses passions, la pratique du tir sportif, au club de Nancy
  • Son conseiller Pôle Emploi, à Nancy, a longuement témoigné, révélant surtout sa méconnaissance de la vie professionnelle de l'accusé et son incapacité à l'aider à retrouver un emploi
  • Dernier témoin de la journée, sa seule petite-amie connue : un flirt de quelques mois quand ils avaient 16 ans. Seul "mon déménagement m'a sauvé" estime-telle aujourd'hui, alors qu'on sait désormais qu'il avait repéré son domicile et tenté de s'y rendre entre les assassinats du 26 et du 28 janvier 2021.
  • Gabriel Fortin est accusé d'avoir assassiné trois femmes, une conseillère Pôle Emploi et deux DRH, et d'avoir tenté d'assassiner l'un de ses anciens DRH.
  • Pour actualiser l'article et lire les dernières informations, cliquez ici.

Le fil de la journée d'audience

Le premier témoin, Michel T., était son instructeur de vol à voile, l'un des passions de Gabriel Fortin. Il raconte les conversations sur la recherche de travail de l'accusé et sur Pôle Emploi, "une fois, il m’a dit “tu te rends compte, ils veulent m’envoyer bosser comme manutentionnaire, moi je suis ingénieur”. Il l’avait très mal pris". Il l'a perdu de vue en 2008, "les deux dernières années, il était fuyant, de plus en plus replié sur lui même. Avant il était jovial, sympathique" explique-t-il, et, à partir de 2018, "il avait coupé les ponts, il ne fréquentait plus personne". Il ajoute qu'il a tenté de dire à l'accusé qu'il était "dépressif, et qu'il devait consulter. Il l'a très mal pris, ça aurait pu être réactif". En 2019, le témoin ajoute qu'il pense que Gabriel Fortin est devenu paranoïaque. "Le covid, ça n’a fait que le renforcer, c’est le syndrome de la cabane, les gens restent ensuite enfermés dans un confinement mental. Mais il n'est pas fou, on ne devient pas psychotique à 45 ans !" insiste-t-il.

"Il n'est pas fou, on ne devient pas psychotique à 45 ans !" - Un témoin

François, un ancien copain de vol à voile, a essayé de l'inciter à parler, à expliquer.
François, un ancien copain de vol à voile, a essayé de l'inciter à parler, à expliquer. © Radio France - Virginie Salanson

Le deuxième témoin de la journée faisait partie du même club de vol à voile. François raconte les vols, l'amitié naissante, mais jamais très intime, les conversations à sens unique "c'était toujours plutôt moi qui parlais, que lui". Puis, les liens qui se distendent, les conversations, en passant, quand on se croise sur un trottoir. Puis soudain, il se tourne vers l'accusé et lui adresse directement la parole. Le moment est un peu surréaliste : "Gabriel, je suis content de te voir, mais en même temps, la situation elle est catastrophique ! En l’état, je peux pas regarder les gens qui sont là" dit-il d'un voix douce en montrant les parties civiles. Il hésite beaucoup, se reprend. "J’ai juste envie de dire un truc, moi j’aimerais bien qu’on discute, mais pas du passé et des voitures. Maintenant, faut rentrer dans le dur, faut expliquer des choses pour 2021. Ça sera bien d’aller au bout, de lâcher des infos, d’expliquer. Après c’est dans ta tête, c’est toi qui vois. Mais là faut p’têtre rentrer dans le dur ?" Et il finit par un simple : "chai pas, qu’est-ce que t’en penses ?".

Aucune réaction du côté de l'accusé. Le président lui demande : "voulez-vous réagir Monsieur Fortin ?". Lui répond d'une voix sèche "Non. Du tout !"

À l'école d'ingénieur, un élève très moyen

Après une suspension de séance, deux nouveaux témoins : Jacques, un ancien copain de l'école d'ingénieur, qui dresse le même portrait de l'accusé : des relations de bons copains, mais qui perd le lien avec Gabriel Fortin au fur et à mesure des années. À l'école, ils étaient tous les deux "dans la moyenne, mais travailleurs", pourtant, l'écoute des bulletins de note de Gabriel Fortin est édifiante "insuffisant", "très mauvais", "négligé", "difficulté d’expression, doit communiquer d’avantage".

Puis arrive Damien, une connaissance du club de tir de Nancy, que l'accusé a fréquenté assidument les années qui ont précédé les assassinats. Il décrit un homme qui venait jusqu'à trois fois par semaine pendant plusieurs années, assez hermétique, assez introverti, "quand on le croise la première fois, il ne pose pas de regards sur vous. Puis, au fur et à mesure du temps, on échange. [...] On se retrouvait après le tir, il participait aux conversations, mais n’était pas le leader, on sentait qu’il était assez enfermé. La seule chose que je savais de lui, c'est qu’il était ingénieur et qu’il était au chômage. Je sentais qu'il ne fallait pas entrer dans son intimité. Après le confinement, j’ai vu un changement physique : il s’est alourdit, il paraissait plus négligé". Le témoin explique en détail les différents type de tirs, à 10 mètres, à 25 mètres, avec quel type d'armes, pour quelles sensations. Il n'a jamais remarqué un comportement dangereux : "au niveau du tir, il était sérieux, il respectait la réglementation".

L'avocate d'Estelle Luce, tuée à Wolfgantzen, pose des questions sur la date d'achat de l'arme du crime, retrouvée dans la voiture de Gabriel Fortin, un pistolet glock semi-automatique et sur les règles de sécurité au club de tir. L'audience est suspendue, elle reprendra à 14 heures.

Le club de tir de Nancy

À la reprise de l'audience, en début d'après-midi. Gabriel Fortin a refusé pendant plus d'une demi-heure de revenir dans le box des accusés. Après deux allers-retours de ses conseils, il est finalement revenu, le visage très fermé. L'audience a repris avec l'audition de l'ancien président du club de tir de Nancy, où il s'est exercé au tir pendant sept ans.

C'est Hervé, l'ancien président du club de tir de Nancy, qui témoigne. Gabriel Fortin y a pratiqué le tir sportif pendant sept années. Il parle de l’accusé comme d'un "homme calme, effacé. Il venait très très souvent et respectait toujours les horaires. [...] Il était neutre, égal à lui-même tout le temps, jamais un mot plus haut que l’autre. [...] Il était très carré, respectait bien le règlement et les consignes de sécurité". Gabriel Fortin pratiquait beaucoup de tir à dix mètres, la discipline la "plus difficile" d'après l'ancien président du club de tir.

Deux pistolets et un silencieux

"Je n’ai jamais rien noté qui puisse nécessiter que j’émette une réserve sur le fait que Gabriel Fortin soit autorisé à détenir une arme à feu [le président d’un club de tir donne son avis à la préfecture avant autorisation NDLR]. Je n'échangeais pas avec lui, je ne le connaissais pas" continue-t-il.  "En revanche, c’est très marginal qu’une demande soit faite pour un « réducteur de son » [plus communément appelé un silencieux NDLR], moi-même je n'en vois pas l'intérêt" explique-t-il. L'accusé possédait deux armes : un pistolet Taurus et un pistolet Glock. Deux armes, ayant un coût assez faible, mais de moyenne facture "en tout cas, pas faites pour faire du tir sportif, mais plutôt du tir de loisir" estime le témoin. Le dernier passage de Gabriel Fortin au club de tir remonte au 16 septembre 2020, soit quatre mois avant les assassinats.

L'ancienne secrétaire du club de tir témoigne à son tour. Formatrice, elle a initié l'accusé au tir à son arrivée au club. "Il venait essentiellement le mercredi et le samedi, on parlait très très peu. Je le croisais aussi à la bibliothèque, où il consultait les ordinateurs. Il lui arrivait d’être irascible quand son arme fétiche n’était pas disponible. Il était tellement discret qu’il ne parlait pas" raconte-t-elle.

Le témoignage "lunaire" de son ancien conseiller Pôle Emploi

C'est au tour du conseiller Pôle Emploi de Gabriel Fortin, à Nancy, d'arriver à la barre. Extrêmement tendu, masqué, comme pour se protéger, Emmanuel, 53 ans, raconte, dans un vocabulaire alambiqué, pétri de termes abstraits et administratifs, les "dispositifs" et les "possibilités" pour "analyser et accéder au marché de l'emploi local" en fonction des "stratégies mises en place" et des "process" pour "rapprocher l'accusé de l'emploi" par des "mobilités". Le président le reprend et lui demande simplement s'il se souvient précisément de Gabriel Fortin, qu'il a suivi pendant six ans ! "Je ne m'en souviens pas" répond piteusement le conseiller. Il suivait 400 dossiers en même temps à cette époque. "Je ne peux pas vous dire si je l'ai rencontré", continue-t-il, pressé par le président. "Je n'ai aucun souvenir physique de Gabriel Fortin. [...] Je ne sais pas si c'est moi qui l'ai suivi tout le temps ou non" reconnaît-il encore.

Mal à l'aise, il demande à ne pas regarder l'accusé. "Oui, c'est un événement extraordinaire pour moi", puis il se contredit en assurant qu'il ne se souvient pas de la manière dont il a dormi ou travaillé le lendemain de l'assassinat "Ma mémoire me fait défaut, la vie continue" lance-t-il*,* toujours aussi nerveux. Les témoins ont, à plusieurs reprises, mentionné la contrariété de l'accusé quand Pôle Emploi lui aurait proposé un emploi de "manutentionnaire", alors qu'il était ingénieur. Mal à l'aise, le témoin se dandine à la barre, "oui, c'est étrange, mais c'est possible" reconnait-il. C'est la brigade criminelle qui lui a appris l'assassinat de Patricia Pasquion et l'identité, plus tard, du tueur présumé. "Ce n'est pas Pôle Emploi qui m'a informé, c'est la police" assure encore le témoin, qui semble ne se souvenir de rien.

Puis le président lui demande si Pôle Emploi Nancy a mis en place des mesures de protection ou des évolutions depuis la mort de Patricia Pasquion : "non, c'est normal, c'est comme avant" répond le témoin, qui explique encore qu'il ne demandait pas aux demandeurs d'emploi les raisons de leurs licenciements. Le président s'étonne "mais ce n'est pas important de comprendre la vie professionnelle des gens pour les aider à retrouver du travail ? Surtout quand ils ont été licenciés deux fois pour faute ?". Nouvelle réponse indirecte du témoin, visiblement gêné "Je ne suis pas rentré dans cet aspect des choses. Je m'en suis tenu à son CV, à ses compétences". Le président, perplexe, insiste, mais le témoin ne donnera pas de réponse plus claire.

On sent les avocats des parties civiles tendus. "Une conseillère Pôle Emploi est froidement abattue sur son lieu de travail. ça aurait pu être vous. Vous n’avez pas fait une minute de silence ? Vous avez bien dormi? Le lendemain vous avez bien travaillé, bien reçu les gens ?" assène un avocat. Le témoin répond "la vie a continué, je ne me souviens pas". Maitre Jakubowicz, qui représente Pôle Emploi, tente de le calmer, de la faire parler : "votre témoignage est un peu lunaire tout de même" lui dit doucement l'avocat.

Sa seule ex petite-amie connue

Maud arrive à la barre, son témoignage est très attendu car elle est la seule petite-amie connue de l'accusé. Ils ont flirté à l'âge de 16 ans "un flirt de quelques mois, je ne saurais vous dire combien de temps", puis se sont revus en 2008, des années après, pour un seul et unique déjeuner. "Je me suis rendue compte qu’il y avait un gros décalage entre ce dont lui se souvenait et mes souvenirs. Ça m’a mise un peu mal à l’aise. On a fini de déjeuner et je me suis dit que je ne souhaitais pas entretenir d’autre relation, même amicale avec lui" explique-t-elle. Après ce déjeuner, elle raconte qu'il a commenté ses publications à elle sur les réseaux sociaux jusqu'à ce qu'elle le "bloque partout où je pouvais le bloquer", puis n'a plus eu de nouvelles depuis 2009.

Elle raconte avoir eu le sentiment d'être "surveillée et épiée sur les réseaux sociaux, c'est pas très agréable". Dans l'ordinateur de Fortin, les policiers ont trouvé des fichiers qui montre une surveillance de l'ancien domicile de Maud à Nanterre avec la description de l'endroit. Les horaires de la jeune femme, quand elle rentre, quand elle part : tout était noté. "Tout ce qui a pu nous lier n'est que superficiel" répète-t-elle à la cour. "Mr Fortin est quelqu'un qui n'a pas compté pour vous ?" demande le président. Elle hoche la tête : "non".

Après ce témoignage, l'audience est levée. Elle rependra jeudi matin, avec l'audition des policiers et enquêteurs. Puis, vendredi, ce sera au tour des experts psychiatres.

Trois semaines de procès, une soixantaine de témoins

Durant la deuxième semaine, les faits seront abordés dans l'ordre chronologique des évènements. D'abord l'assassinat d'Estelle Luce dans le Haut-Rhin, puis la tentative d'assassinat avec le DRH qui a échappé à la mort qui viendra témoigner. Seront ensuite analysés les assassinats de Patricia Pasquion à Valence et de Géraldine Caclin à Guilherand-Granges. Leurs familles pourront alors s'exprimer. Enfin, l'interrogatoire de Gabriel Fortin lui-même est prévu durant la dernière semaine de procès.

Le verdict est attendu le vendredi 30 juin. Gabriel Fortin encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Nos articles incontournables

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

Publicité

undefined