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Le rôle inédit de la presse dans l'affaire Grégory

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En trente ans, plus de 3.000 articles ont été écrits sur l'affaire Grégory, et une quinzaine de livres. Jamais auparavant une affaire de meurtre n'avait autant passionné la presse. Les journalistes qui travaillaient sur l'affaire ont parfois agi en enquêteurs parallèles.

Des quotidiens régionaux à la presse magazine, tout le milieu s'est passionné pour cette affaire
Des quotidiens régionaux à la presse magazine, tout le milieu s'est passionné pour cette affaire © Maxppp

[Dossier publié initialement le 16 octobre 2014, mis à jour le 14 juin 2017, puis le 16 mai 2018 avec ajout du lien sur l'annulation des mises en examen de trois personnes, les époux Jacob et Murielle Bolle]

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Dès les premières minutes, l’affaire Grégory est comme prédestinée à être extrêmement médiatisée. Lors de la découverte du corps, un photographe de la presse régionale parvient à capturer l’image d’un gendarme sortant le corps de l’enfant de la Vologne.

A LIRE - Affaire du petit Grégory : trois membres de la famille sont en garde à vue à Dijon

Le 16 octobre 1984, découverte du corps de l'enfant dans la Vologne.
Le 16 octobre 1984, découverte du corps de l'enfant dans la Vologne. © Maxppp -

Le lendemain, l’image fait le tour de la presse, au moment où la lettre du corbeau arrive chez les Villemin. Interrogé par un journaliste de RTL, Jean-Marie Villemin déclare qu’il sait qui est le meurtrier.

L'affaire a fait à plusieurs reprises la une de Paris Match
L'affaire a fait à plusieurs reprises la une de Paris Match © Maxppp

Il n’en faut pas plus pour que l’affaire s’emballe. La presse de l’époque se passionne pour ce fait divers : les journalistes décrivent "ce champ clos minuscule emprisonné par d’ignobles secrets " (dans Paris Match ) où vivent "des paysans pervertis murés dans leur silence " (dans Le Nouvel Observateur ). Le décor de l’affaire devient celui d’un film noir et les journalistes prennent la place des enquêteurs, au sens propre du terme : certains d’entre eux se font passer pour des gendarmes ou placent des micros dans les armoires.

"On devient acteurs du jeu, avec l'idée qu'on va peut-être contribuer à pousser quelqu'un dans l'entonnoir, et _que c'est nous qui aurons le privilège d'annoncer cela à la France entière__"_, a raconté Laurence Lacour, journaliste à Europe 1 à l'époque, auteur du livre Le Bûcher des Innocents qui relate l'emballement médiatique autour de l'affaire. Le juge Lambert, à la sortie du tribunal d’Epinal, distille souvent des informations aux journalistes : "Il y a des cadavres dans le placard. Quand vous connaîtrez le dénouement, vous serez effarés ."

"Sublime, forcément sublime Christine V. "

Il n’en faut pas plus pour raviver sans cesse la soif de scoop des journalistes. Lorsque Bernard Laroche est arrêté, c’est devant les caméras de télévision. Même l’écrivaine Marguerite Duras se rend à Lépanges-sur-Vologne pour écrire sur l’enquête . Sans rencontrer Christine Villemin (qui refuse de lui accorder un entretien), Duras écrit une tribune publiée dans Libération le 17 juillet 1985 : "Sublime, forcément sublime Christine V. ". Faisant fi de la présomption d’innocence, elle affirme croire que c’est bien la mère de Grégory qui l’a tué : "Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé", écrit-elle. A son tour, ce texte déclenche une polémique.

En tout, en trente ans, plus de 3.000 articles de presse ont été publiés sur l’affaire. Mais ce n’est pas tout : il y a aussi eu une quinzaine de livres, près de 50 travaux universitaires, et un téléfilm, qui a transformé l’affaire en fiction, diffusé en 2006 sur France 3.

Presse 2
Presse 2 © Radio France

Parmi tous ces journalistes, l’un d’entre eux a un rôle tout particulier dans l’affaire : Jean Ker. Journaliste pour Paris Match au moment des faits, il profite de bien connaître l’un des enquêteurs pour être le tout premier à pénétrer dans la maison des Villemin, après la mort de Grégory. C’est lui qui photographie avant tout le monde la chambre de l’enfant, c’est lui qui trouve la photo de Grégory qui deviendra son portrait quasi-officiel ; c’est lui encore qui organise la séance photo pour Paris Match dans laquelle tous les membres de la famille posent ensemble.

Jean Ker, 80 ans aujourd'hui, pose avec les unes du magazine sur l'affaire Grégory
Jean Ker, 80 ans aujourd'hui, pose avec les unes du magazine sur l'affaire Grégory © Maxppp

Comme beaucoup de journalistes présents sur place, Jean Ker tisse des liens cordiaux, voire des liens d’amitié avec les Villemin. Lorsque Bernard Laroche est libéré, il se rend chez les parents de Grégory pour leur faire écouter un document qu’il est parvenu à se procurer : l’audition de Murielle Bolle — avant qu’elle ne se rétracte, ce témoignage qui accable Laroche. Malgré les appels au calme de Jean Ker, c’est ce soir-là que Jean-Marie Villemin, pour la première fois, prend son fusil et part en direction de chez les Laroche. Ker, qui a rebroussé chemin, parvient à convaincre Jean-Marie de ne pas tirer. Il raconte cette histoire quelques jours plus tard dans un article de Paris Match.

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En 1993 au procès de Jean-Marie Villemin, Jean Ker raconte sa première rencontre avec Bernard Laroche , un récit jusqu’alors inédit. "Il me crache sa haine (…) sur les Villemin, en me disant qu’il ne les plaint pas, qu’ils ont payé pour tout ce qu’ils ont fait ", raconte-t-il.

Presse 3
Presse 3 © Radio France

En 1987, le juge Simon – à la cour d'appel de Dijon – récupère l'enquête. Considéré comme plus sérieux que son prédécesseur, il reprend l'instruction au début et prend surtout la décision de ne plus rien communiquer à la presse. Alors que le juge Lambert avait pris l'initiative de régulièrement s'exprimer devant les journalistes, leur lâchant parfois des informations capitales sur l'enquête, Maurice Simon choisit de verrouiller la communication, et de suivre précautionneusement la procédure pénale.

L'interview du juge Simon, en une du magazine Détective
L'interview du juge Simon, en une du magazine Détective - - Capture d'écran

Tout bascule le 26 octobre 1989 : le magazine spécialisé Détective publie une "interview exclusive du juge Simon" . En réalité, il ne s’agit "que" de la transcription d’une conversation informelle avec le juge d’instruction de l’affaire, enregistrée à son insu. Des éléments confidentiels de l’enquête y sont révélés, en particulier le fait que Christine Villemin pourrait bénéficier d’un non-lieu , et que Bernard Laroche pourrait en fait être le coupable. La presse profite de cette faille pour s’engouffrer à nouveau dans la brèche. L’avocat de la famille Laroche assigne le juge Simon en justice. Celui-ci fait un malaise fin janvier, et tombe dans le coma . Partiellement amnésique, privé d’une partie de ses facultés intellectuelles, il est incapable de reprendre l’affaire.

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