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Affaire Dupont de Ligonnès : "On continue de travailler comme s'il était toujours vivant"

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A l'occasion des cinq ans de la découverte des corps de la famille Dupont de Ligonnès sous la terrasse de leur maison, à Nantes, le patron de la police judiciaire nantaise a accordé une interview à France Bleu Loire Océan pour faire le point sur les avancées de l'enquête. Rencontre.

Jean-René Personnic, le patron de la police judiciaire de Nantes
Jean-René Personnic, le patron de la police judiciaire de Nantes © Radio France - Typhaine Morin

On ne rencontre pas tous les jours le chef de la police judiciaire de Nantes. Et l'affaire Dupont de Ligonnès est suffisamment emblématique de l'histoire judiciaire nantaise que Jean-René Personnic a accepté de nous rencontrer pour faire le point sur cette enquête exceptionnelle.

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France Bleu : Il y a cinq ans jour pour jour, le 21 avril 2011, on découvrait sous la terrasse du 55, boulevard Robert Schuman les corps d'Agnès et de ses quatre enfants, Arthur, Thomas, Anne et Benoît. Depuis, le père de famille, Xavier Dupont de Ligonnès, n'a plus donné signe de vie. Où en est l'affaire Dupont de Ligonnès aujourd'hui ?

Jean-René Personnic : C'est une affaire qui est toujours vivante chez nous, avec un dispositif d'enquête qui actuellement composé d'un enquêteur qui constitue la mémoire du dossier et qui continue de collationner les différents signalements qui nous parviennent, et d'exploiter des éléments d'enquête puisque c'est un dossier tentaculaire avec foultitude d'investigations à envisager, et il y en a toujours une série en cours. Certes, l'actualité du dossier n'a pas l'effervescence qu'elle a pu connaître à son entame mais on continue de creuser certaines pistes et surtout d'évaluer et de vérifier les quelques signalements qui nous parviennent. On a eu des années qui ont été particulièrement chargées en la matière et ça s'est considérablement réduit depuis.

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France Bleu : Depuis le début de l'affaire vous avez eu plus de 900 signalements, une dizaine depuis le début de l'année...

Jean-René Personnic : C'est ça, on est à un peu plus de 900 signalements. Aucun n'a été négligé ou écarté d'emblée. C'est-à-dire que dès qu'un signalement nous est parvenu, il a fait l'objet d'une vérification, d'une prise de contact avec la personne qui en était à l'origine. Certains se sont révélés un peu plus intéressants que d'autres. L'intérêt portant souvent sur des contextes rapportés ou qui pouvaient connaître des accroches dans le dossier, que ce soir sur le plan géographique ou thématique. On les a tous vérifiés, ce qui n'a pas été une mince affaire parce que cela requiert de la réactivité permanente. Mais ce dossier est toujours vivant, on a toujours la commission rogatoire, on continue de travailler dessus et de rester mobilisé sur le dossier.

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France Bleu : On a cru voir Xavier Dupont de Ligonnès à Dieppe, en Corse, à Rome, dans le Var... est-ce qu'il y a une zone géographique sur laquelle vous êtes concentrés ?

Jean-René Personnic : La géographie qui intéresse le dossier reste la côte azuréenne, les pays limitrophes, méditerranéens. C'est le lieu de disparition qui reste à ce stade l'environnement géographique le plus pertinent pour nous. Il est clair que des signalements qui nous parviennent de ces zones-là nous apparaissent d'emblée plus intéressants que d'autres. Après, il y a toute une géographie plus familiale qui relève des zones où la famille a habité durant les différentes périodes professionnelles. Donc la France dans ces zones-là, mais peut-être plus particulièrement la zone sud-est qui nous est apparue (...) l'endroit qui mérite un intérêt un peu plus soutenu.

On est face à une personnalité assez riche, quelqu'un qui semblait très structuré, intelligent" - Jean-René Personnic, le patron de la police judiciaire de Nantes

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On travaille bien avec l'Italie, avec l'Espagne, on a eu pas mal de signalements là-bas, plus ou moins intéressants. On a une réactivité forte de ces pays-là. Les seules limites qu'on a pu y trouver, c'est l'absence de fichier centralisé des traces ADN, notamment en Italie. [Ce pays] n'est pas doté du FNAEG (Fichier national des empreintes génétiques) comme en France, et c'est vrai que là c'est plus compliqué parce qu'on est obligé de les interroger au cas par cas. Ce qui fait que lorsqu'un signalement nous parvient, ils ne sont pas non plus en situation juridiquement de pouvoir obtenir un prélèvement biologique, donc ça ce sont des choses qui sont parfois difficiles à obtenir, mais on arrive à surpasser ces contraintes par une parfaite connaissance du dossier. On [élimine ces pistes] assez vite parce que les Italiens et les Espagnols nous envoient  assez rapidement les éléments de contexte, d'identification, puisque nous avons tout le matériel d'identification à disposition. On peut rapidement discriminer toute personne qui serait retenue par un service de police en France ou à l'étranger.

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France Bleu : Cette affaire reste exceptionnelle...

Jean-René Personnic : Oui, elle l'est sur bien des plans. À la fois par le bilan terrible, et aussi par l'environnement de cette famille, son mode de vie. C'était une famille qui était installée sur Nantes, qui était socialement bien intégrée, avec des valeurs assez claires, qui nous ont jamais laissé pensé que le chef de famille pouvait aller jusqu'à cette extrémité. (...) C'est un dossier très très particulier, très singulier. (...) Il faut être centré sur la personnalité de l'auteur, sa vie, son existence telle qu'elle a été, son parcours professionnel, ses aspirations, ses échecs, aussi, tout ça a pesé dans le geste qui fût le sien. On est face à une personnalité assez riche, quelqu'un qui semblait très structuré, intelligent.

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Policièrement parlant, pour nous, il n'y a pas de mystère : c'est lui. On a des éléments qui nous permettent de l'envisager. Après, quelle sera l'appréciation de la justice sur les éléments d'enquête qu'on a pu lui livrer à ce stade, quelle en sera l'issue désormais ? Est-ce qu'on va poursuivre ? Je pense qu'il y a encore des choses à faire, donc que le dossier n'a pas lieu d'être à ce stade renvoyé. Après, il en ira de la décision de la justice, de procéder à un renvoi pour juger les faits sans l'auteur présumé.

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France Bleu : Vous connaissez parfaitement Xavier Dupont de Ligonnès, vous est particulièrement l'enquêteur en charge de ce dossier ?

Jean-René Personnic : Oui, il y a forcément une intimité forte qui s'installe. On connaît très très bien cette famille. Je ne peux pas rentrer dans les détails, par respect pour les victimes, pour les proches, pour la famille, quelles que soient les positions prises par les uns et les autres. Il faut les préserver, et qu'ils soient sûrs que les moyens engagés sur ce dossier ont été à la mesure du drame. Cinq ans après, il est compréhensible que le dispositif d'enquête n'a plus l'ampleur qu'elle pouvait avoir les six premiers mois. Mais les choses sont bien en place néanmoins, et on est en capacité de se mobiliser le cas échéant avec une parfaite connaissance du dossier pour pouvoir relancer les investigations si cela devait être nécessaire de le faire.

La police judiciaire n'exclut aucun signalement

France Bleu : Comment travaille l'enquêteur en charge de ce dossier ?

Jean-René Personnic : Pour rappel, on est a plus de 120.000 feuillets, 4.000 procès verbaux, des centaines de scellés, des exploitations qu'on peut potentiellement relancer ou répliquer. On est ici à l'antenne de Nantes, on a aussi une grosse actualité. Et le rôle de la police judiciaire, c'est d'être réactive quand il y a des faits qui se produisent. On ne peut pas se passer de la qualité de cet enquêteur sur d'autres dossiers. Et vous imaginez bien que si on l'a positionné sur ce dossier, c'est qu'il avait les compétences pour et il l'a démontré. Il ne travaille pas à plein temps sur l'affaire Dupont de Ligonnès, mais ça lui occupe quand même bien l'esprit. On sort pas vraiment indemne d'un dossier comme ça. Il est très engagé et il le sera toujours, je crois. Et nous aussi, l'ensemble de la brigade criminelle. Ce dossier est emblématique, il est en toile de fond du service.

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France Bleu : Quelle est votre conviction sur ce dossier, est-ce que Xavier Dupont de Ligonnès est mort ou vivant ?

Jean-René Personnic : Je n'ai pas vraiment de conviction... Dans ce dossier, ce qui est surprenant, c'est que à l'aulne de notre expérience, c'est que lorsque des personnes s'en prennent à leur famille de manière aussi subite et radicale, l'auteur met souvent fin à ses jours. L'enquête ici a indiqué qu'une dizaine de jours après, il était toujours vivant. Du coup, on peut se poser la question de savoir quand on est en capacité mentale de résister à la tentation de s'éliminer après avoir éliminé les siens, n'y a t il pas un projet derrière plus abouti, avec des moyens cachés pour essayer de survivre à une cavale prolongée.

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Il faut aussi se rappeler qu'il a disparu à Roquebrune-sur-Argens (Var), c'est un endroit où la famille avait vécu quelques années et où elle avait gardé de bons souvenirs. On ne peut pas non plus exclure qu'il ait pu faire le chemin un peu à l'envers et s'éliminer dans un endroit qui lui était cher. D'ailleurs des investigations menées là-bas ont démontré qu'on excluait pas cette piste-là.

Nous, on continue de travailler comme s'il était toujours vivant. Et c'est pour ça qu'on exclue aucune piste de travail et aucun signalement. J'ai un mandat qui m'incite à le rechercher partout, donc on se met en place avec des services de police français et étrangers. Mais je ne suis pas animé d'une conviction intime sur le fait qu'il soit toujours vivant ou qu'il se soit suicidé.

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