Passer au contenu
Publicité

Hauts-fourneaux d'ArcelorMittal Florange : "Je l'ai payé cher mais je ne regrette rien" affirme Edouard Martin

Par

Ses combats en tant qu'ouvrier et leader syndical, son engagement politique, sa nouvelle vie loin de la scène publique... Dix ans après l'annonce de la fermeture des hauts-fourneaux d'ArcelorMittal Florange, Edouard Martin se confie, sans filtre ni remords.

Edouard Martin, au Parlement Européen en 2015 Edouard Martin, au Parlement Européen en 2015
Edouard Martin, au Parlement Européen en 2015 © Maxppp - Pascal BROCARD

Il est à lui tout seul, l'homme qui incarne la lutte contre la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. Dix ans plus tard, après un passage d'un mandat par le parlement européen, nous avons retrouvé Edouard Martin, l'ancien leader de la CFDT du géant de l'acier de la vallée de la Fensch. Revenu dans l'anonymat, il vit et travaille toujours en Moselle. Il nous a reçu à Florange, dans les locaux de Valo, une entreprise spécialisée dans le recyclage de l'économie circulaire, où il travaille depuis quelques mois.

Publicité

France Bleu Lorraine : Edouard Martin, que faites-vous aujourd'hui ? 

Edouard Martin : J'ai la responsabilité de la formation des personnes en parcours d'insertion. En réalité, je continue à une autre échelle ce que je faisais avant. Je suis au plus près des personnes les plus éloignées, les plus précaires. Et franchement, c'est un métier passionnant et j'ai beaucoup de plaisir à faire ce que je fais. Aider les personnes qui sont à la recherche d'emploi, travailler sur la confiance en soi, leur apprendre à se vendre, faire un focus sur leurs savoir-faire (puisqu'ils ont des savoir-faire) et leur trouver un poste de travail : c'est le principal de ma tâche. 

Revenons dix ans en arrière. Quand vous repensez aux dix-huit mois de lutte pour les hauts-fourneaux de Florange, quelle est la première image qui vous revient ? 

La première image qui me revient, c'est lorsque j'entends, lors d'un comité d'entreprise européen, la direction générale dire, alors que c'était inattendu : "Les hauts fourneaux de Florange vont arrêter de manière provisoire, mais pour une longue durée." Et c'est là, à ce moment-là, que j'ai compris que nous étions condamnés

"J'avais cette lueur d'espoir"

Vous imaginiez l'ampleur que cela allait prendre ? 

Non, franchement, je ne pensais pas. J'avais cette lueur d'espoir, peut-être la naïveté, de croire que nous arriverions à convaincre les décideurs. Peut-être pas Mittal, mais au moins les grands décideurs, qu'on ne pouvait pas laisser un site aussi stratégique que celui de Florange, et notamment la production d'acier, fermer. Même si à cette époque-là, la demande d'acier était un peu en berne. Il y a des hauts et des bas, mais on sait tous qu'on a besoin d'acier. La preuve, c'est qu'au moment où je vous parle, on a quasiment doublé la production mondiale d'acier. Vous vous rendez compte ? On en est à deux milliards de tonnes d'acier produites dans le monde ! Et à l'époque, les grands patrons nous disaient : "Jamais de la vie on ne dépassera le milliard." On en est à deux milliards, dont plus de 60 % de la production vient de Chine. 

Ce qui aurait pu sauver les hauts-fourneaux, c'était le fameux projet Ulcos. Aujourd'hui, ce n'est peut-être plus la même technologie, mais ArcelorMittal la développe à Dunkerque. On a loupé le coche ? 

Totalement. Vous prêchez un convaincu. Moi, je me souviens du discours que nous tenions en 2012. A l'instar de ce qui s'est fait en Californie avec la Silicon Valley, mondialement connue pour son savoir-faire autour des métiers de l'informatique, on aurait pu faire la même chose : la vallée de la Fensch, autour de l'acier vert, avec quasiment pas d'émission de CO2. On aurait pris une avance technologique extraordinaire, qui aurait servi à l'ensemble de l'industrie française et européenne. Mais pour ça, il fallait y croire. Et nous étions peu nombreux à y croire. Et tous ceux qui, aujourd'hui, se gargarisent de dire qu'ils avaient raison, c'était les mêmes qui nous faisaient croire qu'ils nous défendaient, et qui derrière nous plantaient des poignards dans le dos. Mais ça, on était habitués, on ne s'attendait pas à des miracles. 

Vous avez été au cœur de la campagne électorale de 2012. Est-ce que les hommes politiques se sont servis de vous ? 

Comme dans chaque élection. On l'a vu lors de la première campagne d'Emmanuel Macron avec les Whirlpool. On sait très bien qu'à chaque fois qu'il y a un drame social, les candidats en profitent pour venir se faire photographier auprès des salariés en grève. Ça fait bien sur une photo. Je me souviens, on s'était dit : "Ils vont tous venir, Florange va devenir le Lourdes de la campagne électorale." Et d'ailleurs, ils sont tous venus. Sauf Nicolas Sarkozy. Lui, il n'a pas osé parce qu'il avait déjà été échaudé par Gandrange. 

"L'Etat français n'a pas été la hauteur"

Florange est devenu le caillou dans la chaussure de François Hollande. Pourtant, ce n'était pas faute de l'avoir mis en garde. Ils nous ont trahi. Je me souviens à l'époque, quand Jean-Marc Ayrault nous sort l'excuse : "Vous comprenez, ArcelorMittal est le plus grand employeur en France. Si jamais on fait ça (la nationalisation des hauts-fourneaux, ndlr), ils quittent la France." Il faut être naïf ou complice pour croire que Monsieur Mittal va quitter la France en pleine nuit, un haut-fourneau sous le bras ! Bien sûr que Mittal a défendu ses intérêts. Ce que je reproche, c'est que l'Etat français, le gouvernement qui est là pour défendre l'intérêt des Français, lui, n'a pas été à la hauteur.

On vous a reproché votre bannière PS aux élections européennes, que vous avez remportées. Si c'était à refaire ? 

Alors là, j'hésite un moment. Pas sur le fait de m'être lancé en politique : il ne vous aura pas échappé qu'à partir de l'année prochaine, l'ajustement carbone aux frontières va devenir une législation européenne. On peut ne pas aimer Edouard Martin, je n'ai pas de problème avec ça. Mais le premier texte qui a été voté au Parlement européen sur l'ajustement carbone aux frontières, le 11 décembre 2015, il est estampillé Edouard Martin. J'ai travaillé sur ce sujet-là. Donc non, je ne regrette pas d'avoir fait ce travail-là, parce que ça manque d'ouvriers en politique, ça manque de personnes qui viennent du terrain. Le seul regret peut-être, c'est d'avoir été trop isolé. 

"J'ai été blacklisté"

Vous y avez laissé des plumes au niveau personnel ?  

Oh que oui ! Je l'ai payé cher, mais encore une fois, je ne regrette rien. A la fin de mon mandat de député européen, j'ai galéré. Je suis resté deux ans et demi au chômage. J'étais quand même blacklisté. Mais je savais que c'était le prix à payer. Malheureusement, je l'ai payé cher, surtout ma famille. Mais je me suis accroché. Et là, depuis peu, un patron m'a dit : "Moi, je te connais, je sais ce que tu as fait, je me fiche de ça. Ce qui m'intéresse, c'est surtout ta motivation à travailler avec nous et tes capacités." Six mois après, je peux vous assurer que ça se passe très bien. Et aux dires de mon patron, il est plutôt très satisfait de mon travail. 

Certains employeurs ont pensé qu'Edouard Martin, c'est l'homme qui détruit les entreprises... Je préfère en rire. C'est d'une crétinerie extraordinaire. Donnez-moi le nom d'un seul patron qui a marché 350 kilomètres pour sauver son usine ! Les 23 copains de Florange dont j'étais, nous avons marché pendant dix jours. On a marché 350 kilomètres pour que l'usine ne ferme pas. Si ça, ce n'est pas aimer l'usine ! Oui, j'aime l'entreprise, parce que je sais qu'elle est créatrice de richesses. C'est grâce aux entreprises que nous autres, nous avons du travail.

Le syndicalisme, c'est fini ? 

Oui, on ne peut pas être et avoir été. Je ne regrette rien. Ça a été une très belle école de la vie. Elle m'a beaucoup apporté. J'ai maintenant 59 ans. Edouard Martin le retour ? Non, ce sera sans moi. Edouard Martin, l'homme qui continue à travailler là où il peut être utile, comme je le fais ici chez Valo, une entreprise d'insertion qui aide les personnes les plus fragiles à retrouver du travail, oui. Je prends un réel plaisir. De voir des personnes qui se croyaient elles-mêmes inemployables - quel mot horrible - lorsqu'elles signent un contrat de travail, la fierté dans leurs yeux... C'est notre plus belle récompense. 

loading
loading
loading

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

Publicité

undefined