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GRAND FORMAT - La Mure : les Gueules Noires se rebiffent

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26 ans après la fermeture des Houillères du Dauphiné, 58 anciens mineurs de La Mure (Isère) viennent d'obtenir la condamnation de l'Etat et plus d'un million d'euros au titre du préjudice d'anxiété. Toute leur carrière professionnelle, ils ont été exposés à des produits toxiques, sans le savoir.

GRAND FORMAT - La Mure : les gueules noires se rebiffent
GRAND FORMAT - La Mure : les gueules noires se rebiffent

Le 28 avril dernier, les Prud'hommes de Grenoble ont tranché. 26 ans après la fermeture des trois puits de La Mure (Isère), 58 anciens mineurs ont obtenu le versement de plus d'un million d'euros d'indemnités au titre du préjudice d'anxiété car, durant toute leur carrière professionnelle, ils ont été exposés à pas moins de 23 produits toxiques, sans le savoir.

Freddy Maugiron, 20 ans de mine, comme son grand-père, son père et ses frères, ancien responsable CGT,  s'était battu dans les années 90 contre la fermeture des Houillères. En vain. Mais en 2008, il est reparti au combat quand d'anciens camarades sont venus le voir pour dire qu'ils étaient malades.

Freddy Maugiron (à gauche) et Hubert Pol sont fiers de leur victoire aux Prud'hommes
Freddy Maugiron (à gauche) et Hubert Pol sont fiers de leur victoire aux Prud'hommes © Radio France - Véronique Pueyo

Les mineurs se font enquêteurs

Avec d'anciens mineurs, représentants du personnel au CHCT (Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail) et un médecin du travail, ils ont reconstitué les fiches de postes, relu les comptes-rendus et répertorié les produits utilisés. "Quand on énonçait le nom d'un produit, le médecin répétait, à chaque fois, que c'était cancérigène! On est tombé des nues!" se souvient Freddy Maugiron. "Heureusement que ces archives avaient été conservées, notamment à l'Institut d'histoire sociale à Saint-Martin-d'Hères ! Mais c'est de la satisfaction de se dire que grâce à tout ce travail de recherche, on a gagné pour 58 mineurs et on incite les autres à nous contacter pour déposer d'autres dossiers."

Hubert Pol est rentré à la mine à 18 ans. Pour ce natif de La Mure, c'était le chemin professionnel tout tracé. "J'avais mon logement, mon charbon pour me chauffer, je payais pas le médecin. J'avais une bonne paye et puis il y avait l'ambiance, les copains, le syndicalisme, la solidarité, les vacances avec le comité d'entreprise et les tournois de boules ou de foot inter-Houillères. On aimait notre métier même si c'était très dur!"

Hubert Pol fait partie, aujourd'hui, des bénévoles qui animent la Mine Image, le musée de la Motte d'Aveillans qui raconte l'histoire des mineurs. "J'aime transmettre cette histoire. Surtout quand je reçois des scolaires qui me posent plein de questions, c'est toujours une grande émotion."

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Des conditions de travail très dures

Hubert Pol raconte : "Au fond, les galeries étaient bleues à cause des gaz d'échappement des camions qui tournaient en permanence. Alors, les particules fines, nous, on connait! On manipulait des huiles pour graisser les perforateurs, en mailot de corps, sans protection, les freins des camions étaient bourrés d'amiante, on se lavait les mains avec du trichloréthylène ! Quand je suis rentré à la mine, je savais que je m'exposais à la silice, mais c'est tout. On nous donnait un masque mais j'ai su après la fermeture de la mine qu'il était inefficace."

Freddy Maugiron renchérit : "Le charbon brûle au fond. Pour éteindre les flammes, on montait des barrages de moellons, et pour étanchéiser tout cela, on projetait de l'amiante, encore une fois sans protection !"

Hubert Pol en veut aux médecins qui savaient et qui n'ont rien dit et aux responsables de la mine : "Nous les mineurs, on n'a pas fait d'études, on est basique. On travaille pour gagner notre vie, dans les conditions qui nous étaient fournies, sans se poser de question. On nous a méprisés."

Freddy Maugiron s'en veut de n'avoir rien vu : "L'entreprise nous a menti et moi, cela me pose problème car j'ai le sentiment de ne pas avoir défendu mes collègues comme j'aurais dû. On a une grosse pensée pour ceux qui sont morts de cancer des reins, de la vessie, de la peau sans avoir pu faire reconnaitre leur maladie de leur vivant. Ils auraient été mieux accompagnés, auraient touché une pension, qui aurait été reversée à leur veuve, à leur décès."

Manif monstre dans les rues de La Mure, dans les années 90, pour dire non à la fermeture de la mine
Manif monstre dans les rues de La Mure, dans les années 90, pour dire non à la fermeture de la mine

Fiers de cette victoire et solidaires

Pour Hubert, ce jugement des Prud'hommes de Grenoble est une première victoire, même si l'Etat a jusqu'au 29 mai pour faire appel. "C'est une reconnaissance de ce que l'on a vécu et de ce que l'on vit. Car aujourd'hui, avec tout ce que l'on sait, on vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. On sait qu'on peut tomber malade à tout moment." Et il ajoute : "Cet argent, on ne l'a pas volé. On leur a fait faire de sacrées économiques aux Charbonnages, en ne nous protégeant pas."

Freddy Maugiron rappelle que le jugement du Tribunal Administratif de Grenoble aussi est très important : "Ce jugement classe le site de Houillères du Dauphiné comme ayant bien exposé ses mineurs à l'amiante. Et comme l'Etat n'avait pas fait appel, cela est définitif. Donc, si la justice n'a pas reconnu encore le lien entre le travail au fond, qu'on a fait durant des années, exposés à 23 produits cancérigènes et les cancers qui se développent aujourd'hui chez certains anciens mineurs, au moins le rôle de l'amiante dans les pathologies des collègues est bien établi."

"Quand on a fait ce métier" conclut Freddy "On est marqué à vie. Sur le plateau matheysin, on compte encore plus de 3000 anciens mineurs. Ce nouveau combat a resserré encore plus nos liens. On se revoit plus souvent et on se rappelle des souvenirs, que d'autres ont oublié. Cela fait des amitiés qui ne se casseront jamais."

L'entrée de l'un des puits des Houillères, aujourd'hui fermé mais orné d'une belle fresque
L'entrée de l'un des puits des Houillères, aujourd'hui fermé mais orné d'une belle fresque © Radio France

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