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Agents pénitentiaires tués dans l'Eure : "Le narcotrafic est présent" chez nous, selon un magistrat rouennais

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Après la mort de deux agents pénitentiaires, au péage d'Incarville, mardi, Philippe Coindeau, l'avocat général près de la cour d'appel de Rouen, est l'invité de France Bleu Normandie ce jeudi.

Philippe Coindeau, avocat général près de la cour d'appel de Rouen.
Philippe Coindeau, avocat général près de la cour d'appel de Rouen.

Après le meurtre de deux agents pénitentiaires à Incarville, une minute de silence a été observée ce mercredi dans toutes les prisons et les palais de justice de France, y compris celui de Rouen. Un moment de recueillement et de discours également, dont celui de notre invité, Philippe Coindeau, avocat général près la cour d'appel de Rouen.

A la question de savoir s'il est "surpris" par cette violence "inouïe", Philippe Coindeau estime "qu'on est toujours surpris par l'escalade de la violence. On ne devrait pas l'être. Il y a un certain nombre de signaux indicateurs qui montrent qu'on est dans une société de plus en plus violente, mais aussi qu'on est dans une société de plus en plus fracturée, avec une délinquance qui qui a fondamentalement changé depuis que moi j'ai commencé mon métier."

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Philippe Coindeau a été juge d'instruction à Rouen entre 1998 et 2003. Son cabinet traitait majoritairement de dossiers liés au trafic de stupéfiants. "On avait à l'époque un certain nombre de trafics, y compris dans les cités de l'agglomération rouennaise. Ce que je découvre en tant qu'avocat général à la cour d'appel de Rouen n'a rien à voir.
Je crois qu'il faut distinguer trois choses. Il y a de manière un peu triviale, ce que l'on appelle la délinquance ordinaire, même si l'expression me déplaît parce que je ne vois pas comment la délinquance peut être ordinaire. Disons que c'est la délinquance qu'on rencontre ordinairement devant nos juridictions. Il y a des gens qui ont passé l'étape supérieure, c'est-à-dire avec une vraie organisation, mais qui reste quand même relativement locale dans un territoire qui est limité, même si évidemment ils ont des liens avec d'autres régions et que la marchandise provient d'autres Etats."

Un "narcotrafic présent sur le territoire"

Le magistrat, en poste depuis 30 ans, juge "qu'il y a un narcotrafic qui est présent sur le territoire que l'on voit de plus en plus, notamment à travers des dossiers qui sont instruits ou diligentés, et sur Le Havre et sur Evreux. Je le dis pour Evreux parce qu'en zone campagne, notamment dans le sud de l'Eure, il y a des réseaux qui sont très significatifs, qui communiquent avec la région d'Orléans et tout ça, c'est une criminalité qui n'a rien à voir avec ce qu'on a connu par le passé."

L'émotion, selon lui, est "une émotion nationale, qui est une émotion partagée, compréhensible parce qu'il suffit de revoir la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux : on est dans une exécution et on est dans un groupe armé avec une organisation militaire particulièrement structurée qui n'a qu'un seul objectif, c'est extraire Mohamed Amra de ce fourgon pénitentiaire. Pour réaliser ces objectifs-là, tous les moyens sont bons. C'est une opération qui dure entre deux minutes 20 et trois minutes où on a cinq fonctionnaires pénitentiaires, deux morts, et trois blessés.

Le profil de Mohamed Amra

Pour Philippe Coindeau, "ça interroge sur la manière dont ce délinquant qui a un casier judiciaire de délinquant, [13 condamnations] j'allais dire classique, a basculé. Il a été condamné lorsqu'il était mineur. Un suivi judiciaire s'est exercé. Et puis un moment, manifestement il y a une bascule avec deux mises en examen criminelles. La presse s'est fait l'écho de soupçons sur une affaire également criminelle en Espagne. Cela illustre pour nous magistrats, la nécessité à la fois de trouver les moyens pertinents d'identifier ces gens qui vont basculer, et aussi de traiter judiciairement ces gens qui sont en train de basculer. Et je crois que c'est le sens du rapport du Sénat d'il y a deux jours. Ce sont les réflexions qui d'ailleurs ont déjà vu le jour puisque le garde des Sceaux lui-même a fait un certain nombre de propositions il y a une quinzaine de jours."

Quels leviers ?

Philippe Coindeau croit qu'il "faut une acculturation au crime organisé. Ça ne veut pas dire que les magistrats découvrent le crime organisé. Ça veut dire que qu'on ne peut pas juger le crime organisé comme on juge les autres délits dans les mêmes juridictions, avec les mêmes magistrats, avec un dossier perdu au milieu d'une dizaine d'autres de nature très différente. J'ai parlé à un moment de ces dossiers qui moi, me marquent de laboratoires clandestins que l'on découvre au Havre, de ces violences que l'on connaît au préjudice des locataires, de leurs familles, mais aussi d'autres personnes. Il y a aussi cette chape de plomb qui fait que personne ne parle, que les victimes ne dénoncent rien, que les victimes vont jusqu'à mentir pour se protéger, mais aussi pour protéger les trafics dans lesquels parfois elles ont partie liée. Il faut changer cet état d'esprit."

Comment lutter contre le narcotrafic ?

Pour l'avocat général, près de la cour d'appel de Rouen, "il faut de nouveaux instruments juridiques. Je crois que la proposition faite par le garde des Sceaux de revoir le statut du repenti est une position très pertinente parce que, là aussi, les armes utilisées, par les moyens logistiques utilisés par ces trafiquants-là n'ont rien à voir avec ce qu'on a connu par le passé."

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